de -3400 à -400
LE MESOINDIEN
ou période pré-céramique

 

Les populations préhistoriques du Nouveau Monde ont traversé plusieurs stades d'évolution, tels qu'on les connaît dans l'Ancien Monde, mais avec un décalage temporel lié au peuplement tardif des Amériques. Ainsi, les premières traces humaines identifiées dans les petites Antilles remontent à 3400 ans avant notre ère (site d'Etang Rouge à Saint-Martin). Ces populations amérindiennes, pratiquant une navigation empirique (fondée sur l'expérience, sans technique particulière), viennent d'Amérique du Sud et d'Amérique Centrale probablement via l'actuel Vénézuéla et l'île de Trinidad. Nomades des mers, ils se déplacent d'île en île. 

À l'instar d'autres îles des petites Antilles, la Guadeloupe est probablement occupée par ces groupes aux alentours de -3500. Des vestiges (éclats de silex, polissoirs destinés à polir des outils en pierre - visibles au parc des Roches Gravées, broyeurs, herminettes de pierre et de lambi pour creuser les troncs, haches...) ont été retrouvés sur quelques sites archéologiques. Ce peuple, néolithique, vit de chasse, de pêche, de cueillette et de coquillages et ne connaît ni l'agriculture ni la céramique. C'est pourquoi on parle de période pré-céramique. Cette période est également dénommée "âge Archaïque" dans la nomenclature archéologique américaine.

NB : Certains auteurs avancent que les îles des Petites Antilles ont été occupées dès -6000, ce n'est pas improbable, mais l'état actuelle des recherches archéologiques ne permet pas de l'affirmer.

de -400 à 1000
LE NEOINDIEN ANCIEN
Les premiers agriculteurs-potiers

 

A partir de 400 avant notre ère, des agriculteurs-potiers, venus du Vénézuela colonisent l'archipel des Antilles. Sédentaires et organisés en villages, ils apportent de leurs terres d'origine la technologie de la céramique, la pratique de l'agriculture, certaines plantes comme le manioc mais aussi le piment, la patate douce et des plantes médicinales, ainsi que des animaux comme des chiens et l'agouti. Ces populations ne connaissent pas la métallurgie et tous les objets coupants sont faits en pierre taillée. 

Les villages, constitués de huttes familialles, s'organise autour de la mouina, hutte plus spacieuse et collective. Les morts sont enterrés au sein du villages, parfois avec des offrandes. D'autres huttes (ou carbets) à usage non domestique sont disséminées à travers tous le territoire pour être utilisées selon les besoins (abris de pirogues, de chasse, etc.). Les villages sont implantés en fonction des cultures : les populations s’installent sur les terres fertiles et pratiquent toujours l'agriculture itinérante sur brûlis. Une fois les terres épuisées, ils déplacent le village. Cela explique la taille d’un site comme Vivé au Lorrain (Martinique) : 15 hectares avec une superposition de plusieurs installations.

Illustration d'un village néoindien (pendue à l'arbre : la couleuvre à manioc - au centre : une femme râpe le manioc sur une grage - Au fond : cases rectanglaires à deux pentes recouvertes de feuilles de latanier, arbre de la famille du palmier).

 

Ils savent aussi s'adapter au mode de vie insulaire en exploitant les ressources marines : poissons, lambis, crabes, oursins et tortues leur fournissent une abondante source d'alimentation ; les rivières également, qui leur fournissent des ouassous (écrevisses) capturés à la nasse, et qu'ils écument en pratiquant la nivrée : introduction de sucs de plantes aux propriétés asphyxiantes faisant remonter les poissons à la surface.

Ils chassent (comme ils pêchent les gros poisson d'ailleurs) avec de longs arcs assez rudimentaires. Et le gibier (reptiles, oiseaux et petits mammifères) est conservé grâce au boucanage (technique de sèchage et de fumage de la viande).

Ce sont par ailleurs d'excellents potiers produisant des céramiques très fines aux décors variés et incisés caractéristiques (décors grillagés). Ces poteries retrouvées dans tout le bassin caribéen portent une peinture blanche et rouge ou blanche sur rouge (selon la période) et sont fabriquées selon la technique du colombin (superposition de boudins d’argile). On trouve beaucoup d’adornos (figurines à formes humaines et animales) qui servent d'éléments de préhension des vases. 

Les nombreuses petites dents en pierre retrouvées sur les sites permettent de penser qu’ils utilisent la râpe à manioc. On retrouve aussi des platines à manioc (destinées à en faire des galettes cuites connues sous le nom de cassaves) posées sur 3 pierres, le manioc fournissant l’essentiel de la subsistance. 

Ce sont d'excellents vanniers et produisent ainsi des paniers, tamis, hottes de portage et autres couleuvres à manioc (le père Labat rapporta en son temps que le travail de vannerie était celui des hommes). Ils savent également filer le coton.

Sur la fin du néoindien ancien apparaîssent les "pierres à trois pointes", typiques des Antilles et très nombreuses en Guadeloupe. Il s'agit de pierres triangulaires gravées qui auraient à voir avec la fertilité...

Leur société est régie sur le mode du caciquat, ce qui signifie qu'il sobéissent à un chef tout-puissant : le cacique (terme emprunté au Taïno, qui désigne le chef de tribu).

Ils vivent en harmonie avec la nature et la respectent au plus haut point (tout comme les "indiens" d'Amazonie ou d'Amérique du Nord d'ailleurs). Lorsqu'ils tuent un animal, ils s'en excusent auprès de lui auparavant, et le remercie par la suite de leur procurer la nourriture dont ils ont besoin. 

Ils pratiquent le culte des ancêtres, les zémis, avec lesquels les chamans entrent en contact en inhalant une drogue hallucinogène (cohoba) à l'aide d'un tube (tobaco).

Yves Moatty, in La Guadeloupe en 200 questions-réponses, rapporte que :

Dans la grotte originelle, les hommes sont des chauves-souris frugivores, les femmes des grenouilles. A l'Anse-des-Galets, les pétroglyphes illustrent une scène d'accouchement dans l'eau d'une femme grenouille que surplombe un homme chauve-souris. Un polissoir suggère l'union du couple primordial.

Il existe une réelle homogénéité culturelle dans tout l'archipel en partie dûe aux fréquents échanges avec le continent ou les autres îles : on y retrouve des perles et des parures dont les matériaux viennent du Venezuela, de Grenade, de Saint-Martin ou de Puerto Rico.

Cette période, le Néoindien ancien ou âge Céramique ancien comprend deux cultures bien identifiables par le style de leur production céramique : 

  • la culture huécoïde ou Huecan-Saladoïde (de -200 à 600 de notre ère) 
  • la culture saladoïde ou Cedrosan-Saladoïde (de 600 à 1100). 

Ce sont ces cultures néanmoins très proches que les archéologues avaient anciennement dénommés "Arawaks" (cf. Focus Arawaks et Caraïbes : entre fadaises et archéologie, mythes et réalité). Des sites caractéristiques de ces premières sociétés possédant de la céramique ont notamment été fouillés à Sainte-Rose-la-Ramée, Bisdary-sur-Gourbeyre, les Etangs Rouges et les Terres Basses à Saint-Martin. À Grande Anse, dans la commune de Trois Rivières (Guadeloupe), ont été fouillés un grand carbet circulaire, maison à toit de feuillage et sans mur, et les sépultures qu’il contenait. 

 les dates bornant la période pré-colombienne sont extrêmement dépendantes des découvertes archéologiques. Pour cette raison, des écarts de quelques siècles peuvent être constatées entre les différentes sources exploitées. Mais l'essentiel réside avant-tout dans la compréhension des événements qui ont permis l'évolution des peuples amérinidens, et non dans l'incontestable justesse d'une datation.

de 1000 à 1492
LE NEOINDIEN RECENT
La régionalisation des sociétés insulaires

 

Vers 1000, les sociétés insulaires se régionalisent. Les cultures, identifiées par des styles céramiques variant du nord au sud des Antilles, se multiplient. Les modes de vie hérités du Néoindien ancien (réseau de village et sites spécialisés) évoluent peu. On perçoit cependant pour cette période une nette augmentation du nombre de sites archéologiques, une fréquentation plus marquée des grottes et une plus grande complexité des rituels funéraires. L'exploitation des ressources alimentaires semble alors davantage tournée vers le milieu marin.

Ces changements définissent la culture troumassoïde (site de Troumassé à Sainte-Lucie) qui inaugure la période du Néoindien récent. Ces Troumassoïdes ne proviennent pas d'une migration mais d'une transformation sur place des groupes antérieurs, profonde mutation encore mal expliquée mais où le climat, la démographie et des modifications sociétales pourraient avoir joué un rôle. La céramique troumassoïde est dérivée de la céramique cedrosan saladoïde, avec une extrême simplification du registre décoratif qui disparaît presque totalement. Les décors polychromes blancs et rouges disparaissent ainsi que les décors grillagés. Les sites d’habitat se modifient et sont installés dans les zones de mangrove ou les baies peu profondes. L’exploitation plus intense de la mer se fait aux dépens probablement de l’agriculture sur brûlis. L’habitat devient permanent puisque l’occupation agricole est moins intense.

C'est sans doute tardivement, peut-être autour du 14ème siècle, qu'une nouvelle population migre dans l'arc antillais depuis le Plateau des Guyanes. Ces peuples, les "Kalinagos" (cf. Focus Arawaks et Caraïbes : entre fadaises et archéologie, mythes et réalité) insulaires décrits par les Espagnols à leur arrivée dans les petites Antilles, pourraient correspondre aux cultures dénommées Suazoïde et Cayo par les archéologues. Cette période tardive est marquée par l'évidence de contacts avec les Taïnos des grandes Antilles).

Avec le suazoïde (du site Savane Suazey à Grenade), on note une amplification du mouvement entamé à la période troumassoïde : moins de céramiques décorées mais au contraire, de plus en plus frustres. Régression culturelle ? Non. Cela signifie seulement que les populations attachent moins d’importance à la céramique. Le rôle symbolique (expression des croyances et des mythologies) dévolu auparavant à la céramique se porte sans doute sur d’autres éléments : tissus peut-être (on a des indices montrant le tissage du coton), décors corporels ou parures. La céramique est devenue purement utilitaire. On retrouve des platines tripodes avec des surfaces moins lissées et des décors indentés (échancrures en forme de dents) faits au doigt.

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Femme amérindienne en tenue traditionnelle : visage peint au roucou, camisa autour de la taille et brodequins aux mollets.

Décris comme plus belliqueux que leurs prédécesseurs, rien ne permet de l'affirmer, en revanche, ils s'avèrent être meilleurs guerriers. Peut-être est-ce là la simple résultante de l'accroîssement des populations sur un territoire qui, lui, reste inextensible ? Toujours est-il qu'ils apprennent tôt le maniement de l'arc et du boutou (matraque en bois).

En plus des mets ancestraux, ils apprécient le ouicou (ouyocou), bière à base d'eau, de cassaves, de patates, de cannes et de bananes qu'ils laissent fermenter dans un canari ou une grande cuve ; ainsi que le maby, à base d'eau également, de sirop clarifié, de papates rouges et d'oranges sures, fermentées de la même manière.

de 1493 à 1634
LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU MONDE
Premier contact entre indigènes et conquistadors

 

ERRATUM : Il est commun de penser que Christophe Colomb a découvert l'Amérique, c'est d'ailleurs écrit dans presque tous les manuels d'histoire, après le chapître où il est dit que Charlemagne a inventé l'école ! C'est juste, dans la mesure où il a ouvert la route (pour le meilleur et pour le pire) du nouveau continent, ce dernier ne figurant pas sur les cartes auparavant. Et pourtant c'est faux car, bien avant lui, vers l'an 1000, des Vinkings étaient venus sur ce continent qu'ils nommaient Vinland. Ils appréciaient son bois, ses rivières poissonneuses, ses baies abritées, mais ils eurent trop souvent maille à partir avec les indigènes, et le quittèrent finalement définitivement. C'est ainsi que Vinland tomba dans l'oubli...

Quatre siècles plus tard, donc, en quête de l'ouverture par l'Atlantique d'une voie maritime le conduisant au Japon (porte d'entrée sur l'Asie), l'amiral italien Christophe Colomb, parvint à persuader la reine Isabelle d'Espagne de financer une mission d'exploration dont elle saurait tirer tous les profits : Les occidentaux ont déjà connu l'Asie (mais ne peuvent plus y accéder par la terre ferme depuis la chute de Constantinople) et savent qu'elle est source d'innombrables richesses à marchander : épices, soie, or...

C'est ainsi qu'il arrive dans la nuit du 12 octobre 1492, à la tête de trois navires : la Santa Maria, la Nina et la Pinta, et de 90 hommes, aux îles connues aujourd’hui sous le nom des Bahamas. Ce n’est donc pas avec des Japonnais qu’il fait connaissance, comme il le pense alors, mais avec "des individus nus comme leurs mères les mirent au monde" : Les Amérindiens des grandes Antilles !

Il se dirige ensuite vers Cuba et Haïti qu’il baptise Hispaniola (l’île espagnole), où il est également reçu par les indigènes. Bien que présentant des caractères différents, toutes les populations amérindiennes du nord de l'arc antillais sont rapidement appelées Taïnos par les arrivants de l’au-delà des mers, car elles utilisent une expression phonétique proche de ce mot pour les accueillir. Les premiers contacts sont d'ailleurs tout à fait chaleureux et cordiaux. Colomb écrira, peu de temps après ces premières rencontres :

Ils nous apportèrent des ballots de coton, des javelots et bien d'autres choses, qu'ils échangèrent contre des perles de verre et des grelots. Ils échangèrent de bon cœur tout ce qu'ils possédaient. Ils étaient bien bâtis, avec des corps harmonieux et des visages gracieux […] Ils ne portent pas d'armes - et ne les connaissent d'ailleurs pas, car lorsque je leur ai montré une épée, ils la prirent par la lame et se coupèrent, par ignorance. Ils ne connaissent pas le fer. Leurs javelots sont faits de roseaux. Ils feraient de bons serviteurs. Avec cinquante hommes, on pourrait les asservir tous et leur faire tout ce que l'on veut. 

Le ton est donné... Fort de cette première expédition, Colomb rentre en Europe afin d'en préparer une deuxième. Ainsi, 21 jours après avoir quitté les îles Canaries, point de départ de cet autre voyage, Colomb aperçoit une première terre : La Désirade, qu'il baptise ainsi Desirada, tant la vue d'une terre fut désirée par l'équipage. Elle s'avère hélas aride et sans eau.
Le dimanche 3 novembre 1493, Tulukera (l'île aux crabes) est en vue, que Colomb nomme Maria Galanda (Marie-Galante), du nom du navire amiral de cette nouvelle traversée.
Après un passage d'une nuit à la Dominique, les Européens reprennent la mer vers une île plus grande dont ils avaient aperçu au loin les montagnes. Colomb décide alors de jeter l'ancre devant cette île, près de l'embouchure du Grand Carbet (rivière qui se jette dans la mer au sud de l'actuel Capesterre, à la pointe du Carbet, au niveau de l'allée Dumanoir) afin d'accorder quelques jours de repos à ses hommes. Le 4 novembre 1493, Christophe Colomb débarque sur l'île principale nommée par les indigènes Karukera (l'île aux belles eaux). Il baptise quant à lui cette île Santa Maria de Guadalupe de Estremadura du nom du monastère royal de Santa Maria de Guadalupe en Espagne (lors d'un pèlerinage après son premier voyage dans les Antilles, en 1492, Colomb aurait fait la promesse aux religieux de donner le nom de leur monastère à une île, ou alors il se serait fait cette promesse à lui-même lors des tempêtes de son retour en Europe en 1492. Il semblerait également que Colomb ait été inspiré par les chutes du Carbet, lui rappelant les cascades présentes dans la région d'Estremadure où se situe le monastère). 
Reprenant sa route, Colomb découvre Soualiga (l'île au sel) à laquelle il donne le nom de Saint-Martin, saint fêté le jour de sa découverte : le 11 novembre. Quand à l'île Ouanalao, elle s'appellera dorénavant Saint-Barthélémy, du prénom Bartolomé, frère de Colomb. Pratiquement tous les noms d'îles que nous connaissons prennent leurs origines de cette époque... Christophe Colomb découvre la Martinique bien plus tard, le 15 juin 1502. 
 
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De retour, en Espagne, lorsque Colomb fait récit de ses découvertes, personne ne croit qu'il ait pu faire route jusqu'en Asie en si peu de temps ! Il est donc rapidement acté qu'il a, en fin de compte, découvert une terre inconnue appelée Nouveau Monde. Puis, dans la foulée, avec l’accord du Pape, Espagnols et Portugais se partagent le monde par le traité de Tordesillas et les Antilles reviennent tout naturellement aux Espagnols. Les autres états européens, trop affaiblis par leurs querelles, sont alors incapables de refuser ce traité. 
 
Au début, les Kalinagos, qui peuplent les petites Antilles, tolèrent ces marins de passage, et parfois même fraternisent avec eux, mais petit à petit les hostilités apparaissent entre les indigènes et les Espagnols. En 1515, Juan Ponce de León, conquérant de Porto Rico, et Antonio Serrano décident de "pacifier" la Guadeloupe et d'y installer définitivement des colons ibériques. Ils abordent l'île avec 3 navires et 300 hommes de guerre. Cachés en embuscade, les Kalinagos foncent sur ceux qui débarquent, les tuent et en font des prisonniers. Lassés, les Espagnols, qui préfèrent les terres plus riches de l'Amérique centrale, abandonnent progressivement les petites Antilles aux coureurs des mers... 
 
1550 & 1551 : La controverse de Valladolid
 
Dès le début du 16ème siècle, aux devoirs de protection, de "civilisation" et d'évangélisation des indigènes souhaités par le pouvoir royal, les nouveaux maîtres des colonnies sud-américaines, les encomenderos, substituent bien souvent appropriation de biens, exploitation et mise en esclavage... Et si certaines lois sont promulguées très tôt, comme celles de Burgos en 1512, imposant de meilleures conditions de travail pour les Indiens, et autres bulles papales de 1537 condamnant l'esclavage de ces mêmes Indiens, si loin du vieux continent, elles n'ont finalement que peu d'effets. 
Charles Quint, qui règne alors sur une bonne partie de l'Europe, exaspéré par les exactions commises par des conquistadors sans scrupules, et désireux de légitimer la conquête espagnole du Nouveau Monde, ordonna la tenue d'un conseil de théologiens, juristes et administrateurs du Royaume afin de savoir dans quel cadre moral et juridique la colonisation devait se poursuivre. 
 
Deux écoles s'afrontèrent, d'accord sur le devoir d'évangélisation des Indiens (leur accordant une âme...) mais opposées sur les moyens d'y parvenir : 
  • Celle de Juan Ginés de Sepúlveda, qui justifia l'emploi de la violence par le devoir moral de l'Espagne de rendre civilisés des sauvages aux pratiques non chrétiennes, coupables de "péché d'idolâtrie", de cannibalisme ou de sacrifices humains. Thèse qu'il défendit en publiant Des causes d'une Juste Guerre Contre les Indiens.
  • Et celle de l'ancien comendero, Bartolomé de Las Casas, qui, "repenti", s'engagea pour la défense des Indiens en rédigeant un traité : Trente propositions juridiques pour une colonisation pacifique, et prêchant pour une vie exemplaire devant mener à la propagation de la foi.

Les deux débats, d'une durée d'un mois chacun qui se tinrent à Valladolid en août 1550 et mai 1551, attisés par de nombreux échanges écrits, aboutirent finalement sur pas grand chose : les conclusions ne furent pas proclamées et la plupart des régions fortement peuplées d'Amérique du Sud avait déjà été colonisée ! Et le reste de l'Europe ne s'embarassa pas d'une telle réflexion pour coloniser le continent nord-américain...

Les Espagnols préfèrent de toute façon les grandes Antilles et une partie du continent. L’île d’Hispaniola est leur première colonie, et devient une importante base, le relais de leur expansion vers le continent. Les autres îles des grandes Antilles suivent, surtout Cuba. 
 
 
Christophe Colomb découvre la Guadeloupe        Réplique de la Santa-Maria,
navire de tête de Christophe Colomb, trois mâts de 23 mètres de long.
 
  D'où vient le nom des Antilles
Christophe Colomb n'a pas eu tout de suite conscience de découvrir un nouveau continent, il était persuadé qu'il avait découvert des îles d'avant le continent asiatique, qui en portugais se traduit par ante-ilhas, du latin antilla et qui donna les Antilles. Tout comme il donna le nom d'Indiens aux indégènes rencontrés, alors qu'en réalité ils n'avaient rien à voir avec l'Inde ! Ils furent ensuite appelé Indiens d'Amérique pour ne pas les confondre avec les Indiens d'Inde, puis Amérindiens.
Les Anglo-Saxons nommèrent plus pragmatoiquement ces îles de l'ouest censées être indiennes les West-Indies (Indes Occidentales).


  Et celui d'Amérique
Ce n'est pas Colomb qui donna son nom à l'Amérique (pourtant il baptisa quelques terres !) mais l'amiral Amerigo Vespucci, autre explorateur qui lui avait emboîté le pas. En 1507, un cartographe écrivit le nom d'Amerigo sur une carte du Nouveau Monde, et celui-ce se transforma en Amérique.

 

le 17ème siècle
SIECLE DE LA FLIBUSTERIE
et début de la colonisation

 

Dès la fin du 16ème siècle, mais surtout durant le 17ème siècle, les petites Antilles sont le théâtre de luttes acharnées entre nations européennes qui se disputent la possessions des îles qui les composent. Selon l'état des finances publiques de chaque royaume, plus ou moins de moyens sont investis dans cette conquête. Il s'agit d'une sorte de "Far-West" maritime où états et appétis individuels se battent sous toutes les formes possibles : Flibustiers anglais, français et hollandais, corsaires et pirates sillonnent la mer des Caraïbes : Ils se battent pour acquérir des possessions au bénéfice des royaumes européens ou s'accaparer le butin des navires marchands battant pavillon d'états ennemis :

  • Les pirates agissent pour leur propre compte, ils sont hors-la-loi, il parcourrent les mers, pille, viole et bien souvent tue sans distinction de nationalité. Si un pirate est pris, on le pend haut et court... Haut pour que tout le monde le voit, et court pour économiser de la corde !
  • Les forbans sont aussi des pirates qui se livrent à des expéditions armées sur mer pour leur propre compte, sans lettre de course.
  • Les corsaires, eux, agissent sur lettre de marque délivrée au nom du roi. Ce papier est un document par lequel un pays le reconnaît comme force militaire auxiliaire. Les corsaires agissent au service de leur pays. S'ils sont capturés, ils exhibent leurs lettres de marques, ce qui leur assure le sort de prisonniers de guerre et leur évite la corde. Les corsaires sont tenus de n'attaquer exclusivement que les ennemis de son souverain, respectant les neutres et toujours ses propres concitoyens. En mer, il lui arrive quelque fois de ne pas avoir été informé de la paix survenue quelques jours auparavant, et en continuant son activité, il est traité tel un pirate. Quelques corsaires peu scrupuleux profitaient de ce papier officiel pour piller et tuer les marchands, comme les pirates... La piraterie est vieille comme le monde et existe toujours, tandis que les corsaires ont sévit durant trois siècles (entre les 16ème et 19ème siècles).
  • Les flibustiers sont des corsaires spécifiques aux Antilles qui chassent, notamment, les Espagnols aux 17ème et même au 18ème siècles. Ils ont en général pour mission d'attaquer les navires ennemis du royaume auquel ils ont fait allégeance : ils contribuent ainsi à l'affaiblissement de l'ennemi et font fortune (ou pas) en s'emparant des biens qui s'y trouvent.

  • Les contrebandiers se livrent à du commerce clandestin de marchandises prohibées ou pour lesquelles on n'a pas acquitté les droits de douane.

 

Les uns et les autres font escale, régulièrement, pour faire du commerce avec les Amérindiens. La Guadeloupe sert alors d’aiguade : point de ravitaillement en eau douce et en bois, pour les navires en route vers l'Eldorado.

Sur le Vieux Continent, après la Guerre folle (1485-1488) à laquelle s'est livrée la France, François 1er se dépense dans les guerres d’Italie (il y en a eu onze ! De 1494 à 1559) et dans la lutte contre Charles Quint. Ainsi privés de l’aide d'un roi, les marchands-aventuriers ne peuvent réussir dans leurs entreprises. Mais ce sont surtout les trente années de Guerres de religion (1562-1595) qui tiennent les Français à l’écart du Nouveau Monde. L’Angleterre trouve un peu plus tôt des solutions à ses problèmes, et lance ses corsaires contre les Espagnols avant la fin du 16ème siècle. Quant aux Hollandais, commerçants et guerriers, ils n’attaquent les Portugais qu’en 1595. Et c'est donc à partir de 1550, mais surtout au 17ème siècle, que tout se petit monde va batailler et tenter d'acquérir ou de conquérir quelques terres. C'est à cette époque également que les Amérindiens vont perdre leur tout dernier espace de liberté...

En effet, les intérêts économiques que laisse entrevoir le Nouveau Monde attirent également des familles inégalement aisées mais toutes en quête de bénéfices ou de reconnaissance. Et les besoins humains que requièrent ces entreprises embarquent des plus démunis qui n'ont plus rien à perdre sur le vieux continent.

Ainsi donc, nobles, militaires, ecclésiastes, bourgeois, commerçants, marins, condamnés et pauvres gueux se côtoient sur des navires et des coins de terre où tout est à construire et si rapidement détruit par une invasion ennemie, une attaque indigène, un aléa climatique, une famine ou toute autre catastrophe qui rend la vie si fragile. Et loin des décisions de ministère de la vieille Europe - dont ils sont pourtant tributaires, ces colons inexpérimentés vont devoir apprendre, trop souvent dans la souffrance, et composer ensemble pour établir un semblant de paix et de prospérité.

de 1625 à 1635
DE SAINT-CHRISTOPHE A LA GUADELOUPE
Histoire de la première colonie française

 

Pierre Belain d’Esnambuc est lui aussi un flibustier, au service de Louis XIII. Un jour de 1625, tandis qu'ils s'était attaqué à un galion espagnol, sa flotte est détruite et il se voit contraint de mouiller au large de la terre la plus proche afin de réparer les avaries subies par le seul brigantin, la Marquise, qui lui reste, accompagné de 60 hommes et chargé de 80 tonneaux. C'est ainsi qu'il débarque sur l'île de Saint-Christophe, où une colonie anglaise s'était déjà installée. D'Esnambuc considère avec intérêt cette île, visiblement fertile et bien placée, et obtient des Anglais l'autorisation d'installer son campement dans les ruines de l'ancienne ville française de Dieppe, à la pointe ouest de l'île, fondée en 1538 par des Huguenots français mais pillée quelques mois plus tard par les Espagnols. Les Français reconstruisent la ville, cultivent le pétun, abattent du bois d'acajou, et font ainsi de ce petit bout d'île la première colonie française permanente des Caraïbes (elle sera officiellement cédée aux Britanniques le 11 avril 1713, suite au Traité d'Utrecht). Entre temps, Français et Anglais s'allient pour massacrer une partie des Kalinagos de Saint-Christophe et en chasser l'autre partie, ces derniers s'apprêtant à en faire de même, s'étant jurés de ne pas subir l'esclavage dont étaient victimes leurs frères du continent.

Mais d'Esnambuc n'est pas du genre à se satisfaire de si peu, il se méfie également - et à juste titre - de ses voisins Anglais, et décide de rentrer en France, laissant la colonie à ses occupations, afin d'obtenir de Richelieu des moyens supplémentaires. Ce dernier n'est pas difficile à convaincre et crée, le 31 octobre 1626, la Compagnie de Saint-Christophe (financée par 12 associés) dont Esnambuc et son ami Roissey deviennent les agents coloniaux, le cardinal leur accordant la concession des îles de Saint-Christophe, de Barbuda et de toutes autres îles circonvoisines comprises entre les 11° et 18° degré de latitude septentrionale. En échange, 50% des profits générés par la colonie reviendront à la compagnie. 

Les 10 premières années sont particulièrement rudes : les maigres ressources envoyées par la compagnies sont pour moitié perdues en mer ; il en va de même pour les hommes (et les femmes) envoyés en renfort ; et puis Anglais et Espagnols entrent tour à tour en guerre avec les Français, qui bien que moins nombreux résistent ou reviennent lorsqu'ils sont chassés. D'Esnambuc, qui se considère comme le père de cette colonie, retourne à Paris et obtient de plus larges ressources de la part de Richelieux qui crée la Compagnie des Îles d'Amérique, le 12 février 1635, plus riche et plus ambitieuse que la compagnie de Saint-Christophe. Cette initiative sera la bonne car elle contribuera à un réel développement de la colonie. Les renforts humains et matériels paient et, avec l'aide des premiers esclaves capturés sur les navires espagnols, l'île de Saint-Christophe devient prospère et même trop exiguë. C'est ainsi que Pierre Belain d'Esnambuc prend avec lui cent bons cultivateurs de Saint-Christophe et va les installer à la Martinique en fondant le Fort Saint-Pierre le 15 septembre 1635. Il regagne Saint-Christophe quelques mois après où il meurt de maladie en décembre 1636, au moment où son zèle et la sagesse de son administration rendent enfin cette colonie florissante.

Lors de ce même voyage en France, un autre colon de l'île de Saint-Christophe, Charles Liénard de l'Olive fait la rencontre de Jean du Plessis d'Ossonville (second de Pierre Belain d’Esnambuc en 1625) qui connait bien les Antilles. Et les deux hommes s'associant obtiennent à leur tour de Richelieu le commandement conjoint ou séparé d'une ou deux îles à conquérir et à habiter par eux. La Guadeloupe est dans la ligne de mire de cet accord... La Compagnie des Îles d'Amérique espère tirer de bons bénéfices du commerce colonial malgré la contrebande.

de 1635 à 1789
L'ESSOR COLONIAL
Une économie esclavagiste

 

Mais faute d’hommes assez nombreux à Saint-Christophe pour les accompagner, De l'Olive et d'Ossonville en recrutent, à Dieppe, qui ignorent en revanche tout des îles. Ces Français débarquent le 28 juin 1635 à la Pointe Allègre à Nogent, dans l'actuelle ville de Sainte-Rose, accompagnés de 4 dominicains pour évangéliser les indigènes et de 150 (ou 400 ou 554, les chiffres divergent...) hommes (dont de nombreux Bretons et Normands) engagés par contrat, pour trois ans, dans le but de faire fortune (on les appellera les "engagés" ou "36 mois"). Lorsqu'ils arrivent, ils sont épuisés, démunis et désunis… L’avitaillement prévu à la Barbade n’avait pas eu lieu et les chefs se sont querellés. Sitôt à terre, la colonie se scinde, suivant les préférences de chacun. Les premiers mois sont difficiles (maladies, manque de nourriture) : nombre de colons périssent. Les survivants décident de s'installer dans le sud de l'île du côté de l'actuel Vieux-Fort. Ils reçoivent l'aide des Kalinagos (que d'Ossonville estime) ainsi que le mentionne ce récit : "... Nous les voyons abattant les arbres ensemble, ensemençant des terres, faisant des canots, et pêchant tortues et lamantins...". De l'Olive, au contraire, les méprise et veut saisir leurs vivres et s'emparer de leurs femmes. Dès novembre, à la mort de d'Ossonville, les Français attaquent les Kalinagos. La guerre dure cinq ans au terme desquels il ne reste de Kalinagos qu’en Grande-Terre et à Marie-Galante. 

Le 4 avril 1640, Jean Aubert, époux de la veuve de d'Ossonville (!), est nommé, par la Compagnie des Îles d'Amérique, lieutenant général de l'île de la Guadeloupe, en remplacement de de l'Olive. La région sud-ouest de la Guadeloupe réunit les caractères d'une région salubre : située au pied des montagnes, bien arrosée mais sans humidité excessive, elle possède de très nombreuses rivières et ravines. L'absence de marécages en fait un site attrayant pour le colonisateur, ainsi que la proximité d'un port ou d'une bonne rade. Sur le site initial de la rive gauche de la rivière du Galion, Aubert fait construire sa maison à charpente de deux étages, qui sera, paraît-il, fort longtemps, la plus belle de l'île. 

Il s'emploie à faire la paix avec les derniers Kalinagos, de toute façon impossibles à réduire en esclavage... Mais les engagés se faisant rares, et les conditions climatiques étant difficilement compatibles avec les pénibles travaux de défrichement et de culture, les français "importent" finalement des esclaves africains par centaines à partir de 1641 et 1645, achetés aux Hollandais, Richelieu ayant autorisé la traite négrière, avec l'accord de la papauté ! Les premiers sont originaires de la Côte d'Angole (de l'actuelle Angola, au Sud du fleuve Zaïre, mais surtout au Nord, des royaumes du Congo, particulièrement productifs. Les captifs, que les Européens appellent justement "Congos", viennent de la périphérie de ces royaumes, sur une aire d’environ 300 km puis arriveront ensuite, par le fleuve, de régions plus lointaines du centre et du sud de l’Afrique). De plus, le pétun devenant excédentaire, la Compagnie des Îles d'Amérique le remplace progressivement par le sucre en introduisant une nouvelle culture, celle de la canne, d’abord à Saint-Christophe, puis en Guadeloupe et à la Martinique. Et cette dernière, particulièrement éprouvante, ne fera qu'accentuer le besoin en main-d'oeuvre "bon marché". Appelée commerce triangulaire, la traite négrière se généralise alors dans toutes les Antilles, et en feront de riches "isles à sucre".

Mais Jean Aubert ne devait guère en profiter de cette prospérité naissante, un seigneur de la Compagnie, Charles Houël, petit noble normand très ambitieux, réussit, après un voyage effectué en Guadeloupe en 1642, à se faire nommer gouverneur de l'île, le 1er avril 1643. La présence d'Aubert constituant une gêne pour Houël, ce dernier met en oeuvre une machination le contraignant à s'éloigner de l'île. 

Désormais seul maître de l'île, Houël contribue, comme les gouverneurs des autres îles, à accroître les difficultés de la Compagnie jusqu'à l'acculer à la faillite. Aussi, en 1649, lorsque cette dernière se décide à vendre son empire colonial, Houël et son beau-frère, le sieur Jean de Boisseret d'Herblay, achètent la Guadeloupe, la Désirade, les Saintes et Marie-Galante pour 60.000 livres de pétun (en effet, à cette époque on paie dans les îles en "livres" de tabac). Ils sont à l'origine de l'essor de l'archipel grâce à la plantation de sucre, café et cacao. Charles Houël fonde la ville de Basse-Terre en 1649 et y fait construire le fort (qui prendra plus tard le nom de Delgrès). On lui doit également la construction du fort à Marie Galante en 1653. Il a donné son nom au Houëlmont, un sommet des monts Caraïbes. En 1654, chassés du Brésil par les Portugais, 900 Hollandais se réfugient auprès de Charles Houël, qui les accueille avec joie (ce sont des soldats expérimentés). Ils participent activement à l'amélioration de la fabrication des sucres. Mais assez vite, les leaders hollandais, et parmi eux quelques juifs, se désintéressent de la culture du sucre et du tabac pour vendre de la nourriture en échange de monnaie, récupérant ainsi toute celle qu'ils avaient dépensée lors de leur arrivée dans les Antilles françaises.

Notons qu'en Martinique, au même moment, le seigneur-propriétaire se nomme Jacques Dyel du Parquet (1606-1658), ayant racheté l'île en 1651 après en avoir été gouverneur pour le compte de la Compagnie des Îles d'Amérique. Il avait été nommé à ce poste par d’Esnambuc, qui n'était rien d'autre que son tonton !

 A l'époque, si les princes se partageaient l'Europe en famille ; aux Antilles, les notables ne manquaient pas d'en faire autant...

Viennent de France toutes les catégories sociales, mais il y a néanmoins encore peu de nobles. Si noblesse et planteur sont souvent associés comme une continuité logique, le sujet est bien plus complexe : attirés par la richesse des îles, quelques membres de la haute noblesse ne se montreront que tardivement. Pourtant, afin d’encourager la colonisation, donc la production qui en découle, quelques privilèges sont apportés aux candidats, comme le titre nobiliaire. Les intéressés peuvent revendiquer un tel droit une fois certaines conditions remplies. Notons que, malgré la hiérarchie sociale complexe de la noblesse française, en Guadeloupe, il n’existe pas de relation subordonnée entre planteurs. 

Les artisans manquent souvent malgré la promotion que le roi assure à ceux qui resteraient douze ans aux îles. Habitués à prendre des risques, les bourgeois sont plus nombreux que les paysans. Les premières compagnies ont pour mission de faire venir aux îles des Français catholiques par milliers, mais jamais elles ne l'ont pu malgré la publicité faite en France. Ce pays est le plus peuplé d’Europe et l’agriculture y est riche. Les impôts provoquent des révoltes, certes, et la difficile condition des paysans du 17ème siècle pourrait les pousser à s’engager pour les îles : l’acquisition d’une terre y est moins difficile et, de sept ans, la durée de l’engagement passe bientôt à trois. Mais les engagés sont souvent maltraités par les colons. Ceux qui en réchappent reçoivent des terres qu’il leur faut mettre en culture dans des délais très brefs, afin de se nourrir. A mesure que le temps passe, ils obtiennent des terres de moins en moins bonnes... Pour se donner une chance de succès, deux engagés peuvent former une société. Mais c’est dans la flibuste (piraterie) qu’ils trouvent le plus aisément les capitaux nécessaires. Le nombre des engagés chute rapidement, surtout quand on introduit les esclaves Africains, dont ils refusent la compagnie. Dans leur grande majorité ces immigrants qui deviennent des créoles au cours des siècles, proviennent de tout l’Ouest de la France, mais également des actuelles Bouches-du-Rhône ou de la région parisiennes. La compagnie encourage l'établissement de couples et "importe" même des filles à marier qui trouvent rapidement parti à peine débarquées.

La foi est grande à cette époque : les Dominicains créent les premières paroisses du sud de la Guadeloupe. Entourée de quelques échoppes d’artisans et de magasins, l’église joue un rôle souvent plus important que le fort dans la constitution des bourgs. 

Et l’inégalité est la règle comme en France, la Noblesse domine le Tiers-Etat. Mais les différences tiennent surtout à la propriété des terres. Les grands habitants (propriétaires les plus aisés) sont les mieux lotis ; ils envoient leurs enfants à l’école en France ou leur offrent un précepteur. Les petits habitants se contentent de l’école du quartier tenue par les religieux. Seuls les nobles sont exemptés en partie de la capitation (taxe par tête inventée en 1695 par Pontchartrain), mais tous doivent défendre l’île et faire partie de la milice. 

  • L'ESCLAVAGE DES AFRICAINS 

Les moulins se multiplient, exigeant sans cesse plus de cannes. Il faut défricher de nouvelles terres. On achète davantage d’esclaves aux Hollandais qui les obtiennent ou les capturent en Afrique (les Français ne pratiquent pas encore le commerce triangulaire). Dès les années 1660, les noirs sont les plus nombreux. Leur vie est très dure, surtout au début, car on s’en procure facilement...

En 1664, Colbert fonde la Compagnie française des Indes occidentales et a pour mission première le rachat de l'île de la Guadeloupe à Houël pour y rétablir l’autorité royale. Cette compagnie est censée peupler le Canada, en utilisant les profits de l'économie sucrière qui débute en Guadeloupe. Mais les colons s'en détournent et font de la contrebande avec les Hollandais. Les planteurs lui reprochent justement de ne pas livrer assez d'esclaves, alors que l'île anglaise de la Jamaïque commence à en importer massivement vers le début des années 1670. De plus, la guerre entre Français et Hollandais désorganise le fonctionnement de la compagnie, qui est dissoute en décembre 1674.

Louis XIV reprend alors l'administration directe des colonies. Il fonde conjointement la Ferme d'occident et la Compagnie du Sénégal (qui fournit les colonies en esclaves), imposant une politique esclavagiste plus agressive et lui supprimant le monopole du commerce triangulaire : à partir de cette date (1674), les négriers des grands ports français ont eux aussi le droit de pratiquer la traite. Le principe est simple : 

  • Les négrier chargent des produits manufacturés en France,
  • qu'ils échangent contre des esclaves sur les côtes africaines,
  • qu'ils revendent ou échangent à nouveau aux Amériques contre des produits tropicaux.

L'objectif étant bien entendu de faire un maximum de bénéfices en un minimum de temps (il faut en moyenne dix-huit mois pour boucler la boucle) afin de pouvoir recommencer... On estime à environ 20% les "pertes" à chaque voyage, certaines mères n'hésitant pas à tuer leurs propres enfants, d'autres à se suicider. A l'arrivée au port, les esclaves sont vendus aux enchères (l'unité de référence étant le nègre-étalon : un jeune adulte mâle en bonne santé) puis marqués au fer chaud sur la poitrine.

Ce commerce est verrouillé par l'"exclusif" : tout commerce fait entre la métropole et ses colonies doit passer par des bateaux français, lui assurant ainsi le monopole des échanges et donc la perception des taxes. L'intendant, présent dans chaque colonie, en assure l'application. Ce qui n'est évidemment pas pour plaire aux colons qui aspirent à plus de "libéralisme"... 

C'est le début de l'essor des irlandais de Nantes, grands négociants du commerce triangulaire, pour la plupart des immigrés jacobites alliés de Louis XIV et de son cousin Jacques II d'Angleterre. Ces changements stratégiques sont économiquement bénéfiques : la production de la Guadeloupe et de la Martinique passe de 5.800 à 8.700 tonnes de sucres entre 1674 et 1682, soit un bond de 50 %. Mais parallèlement, au cours de ces sept ans, on passe de 2.400 à 10.600 esclaves noirs à la Martinique où s'installent de nombreuses familles nobles françaises et irlandaises. Le même phénomène se produit en Guadeloupe, où la population d'esclaves avait même reculé entre 1664 et 1671, passant de 6.323 à 4.627 en sept ans. La création en 1674 de la Compagnie du Sénégal ramène le nombre d'esclaves à 6.076 dès 1700. Cet essor de l'esclavage est moins rapide en Guadeloupe qu'à la Martinique, à qui on réserve les esclaves les plus jeunes et les plus résistants, et où Louis XIV a installé plusieurs planteurs anoblis. Cette politique coïncide avec un durcissement du traitement des esclaves, forcés à travailler au fouet. C'est en 1673 que sont rendues les premières décisions tendant à rattacher les enfants métis au statut d'esclave de leur mère, et en 1680 qu'est rendu un arrêt du conseil des planteurs de la Guadeloupe ordonnant que tous les enfants de "négresses" naissent esclaves. En 1680, on recense 314 mulâtres en Martinique, 170 en Guadeloupe et seulement 350 à la Barbade, où la population d'esclaves est pourtant huit fois plus nombreuse mais où ont été votées dans les années 1660 des lois très sévères en la matière, qui seront d'ailleurs aux sources du Code Noir

Et lorsqu’à l’esclavage on ajoute des sévices, ils marronnent (ils s'enfuient dans les montagnes). Il y a constamment des bandes de Nèg mawon (nègres marrons : esclaves en fuite), certains rejoignant assez vite l’habitation quand on leur promet de ne pas les châtier. Encore qu'il ne soit pas rare qu'à leur retour, on leur coupe une oreille, un membre ou plusieurs membres, ou encore qu'on les marque à nouveau au fer rouge, voire qu'on les tue en guise d'exemple. D’autres, plus déterminés, poursuivent leur marronnage en dépit des articles répressifs du Code Noir de 1685. 

En moyenne, les esclaves ne vivent pas plus de 30 ans, et la plupart des nourrissons meurent avant d'avoir atteint le triste âge de 10 jours.

L'esclavage en Guadeloupe Le châtiment des quatre piquets, par Marcel Verdier

  • LES PROGRES DE L'HABITATION-SUCRERIE

Dès l’établissement des premiers colons aux Antilles et en Amérique au 17ème siècle, le principal objectif est de faire fortune afin d’acquérir une certaine aisance avant de revenir en France. Il faut donc se lancer dans la culture de produits de luxe exotiques dans l’espoir de produire rapidement des revenus tout en limitant les dépenses d’établissement. Dans les premiers temps coloniaux, les investissements de départ sont modiques, les constructions légères et provisoires, d’autant que charpentiers, maçons et menuisiers font alors défaut. Mais l’"habitation" est avant tout un lieu de travail et les premières maisons sont sommairement construites en matériaux périssables trouvés sur place. La plupart des colons projette de revenir en métropole une fois fortune faite. Tout au long de l’histoire, ce retour envisagé est une constante.

Le Traité d'Utrecht (1713) enlève Saint-Christophe à la France, mais assure trente ans de paix entre les grandes puissances européennes. Les habitations-sucreries se multiplient. La Grande-Terre est cependant à peine entamée, les grands habitants se faisant attribuer de grandes propriétés qu’ils laissent en bois debout (non cultivées). 

L’habitation est un bien possédé par un particulier aux colonies. Elle ne se résume donc pas simplement à la maison de maître ou à un édifice spécifique, mais comprend l’ensemble des bâtiments : la demeure du maître (généralement en hauteur), les cases des esclaves (de part et d'autre d'une allée : la "rue cases-nègres"), les ateliers, ainsi que les terres, les cultures, les esclaves (considérés comme des biens meubles), le bétail et tous les ustensiles nécessaires à la vie sur l’exploitation. Une parcelle est réservée aux esclaves afin qu'ils y produisent de quoi se nourrir. On y cultive d’abord le tabac, puis l’indigo, la canne à sucre, le coton, le café (introduit en 1720) et le cacao. On fabrique aussi du tafia dans les vinaigreries. En outre, il ne faut pas oublier qu’une multitude de petites exploitations produit des vivres destinées à l’approvisionnement des marchés locaux. Ces productions entraînent maintes autres activités : produire des briques, réparer des moulins, fabriquer des tonneaux, des roues réclament des talents qui se forgent sur place. D'ailleurs, quelques colons se lancent dans la production de matériaux de construction pour le marché local et il existe, dans presque toutes les colonies françaises, des habitations poteries produisant des formes à sucre, de la brique et des tuiles.

On plante en cannes un tiers de la surface de l’habitation. Tirés au cordeau, travaillés à la houe, les champs forment des lots carrés. Le contrôle des commandeurs en est plus facile, ils peuvent répartir la tâche entre les divers ateliers de "nègres de jardin", les moins qualifiés de l’habitation. La canne récoltée est transportée dans des cabrouets (charrette à 2 roues) tirés par des bœufs, ou descendue des collines à dos de mulet. On la broie au moulin, entre des cylindres juxtaposés tournant en sens inverse et mus par l’eau d’une rivière ou, plus tardivement, par le vent. Le vesou (jus obtenu en écrasant la canne à sucre) suit une canalisation jusqu’à un équipage de chaudières dans lesquelles, par cuisson, on produit du sucre cristallisé. Pour le purger de son sirop, on terre ce sucre en le mettant dans des récipients en terre poreuse qui élimine l’eau.  

plantation en guadeloupeIllustration d'une habitation aux Antilles

 

  • PERMANENCE ET RÉCURRENCE DE CERTAINS PROBLÈMES

Les habitants dénués de capitaux s’endettent auprès des négociants de Saint-Pierre. C’est que la Martinique est devenue le centre du Pouvoir depuis le rattachement des îles à la Couronne en 1674 et l’installation du Gouverneur général au Fort-Royal en 1677. L’intendant résidant à Saint-Pierre est chargé des finances et de la justice ; il peut être d’un autre avis que le Gouverneur général. Avec lui, les facteurs du commerce de France font de Saint-Pierre l’entrepôt des îles où les habitants doivent commercer : les Guadeloupéens expédient à leurs frais sucre, cacao, café. Mais c’est du troc, car il y a trop peu de numéraire.

 Les conflits d'intérêts sont récurrents dans l'Histoire de ces deux îles, la métropole privilégiant régulièrement la Martinique.

C’est seulement en 1730 qu'est frappée la première monnaie des îles. Le maintien de l’Exclusif (interdiction de commercer avec d'autres pays que la France) mécontente les colons et le gouverneur de la Guadeloupe est révoqué en 1727, pour ne l’avoir pas observé. Louis XV ne peut néanmoins empêcher le commerce de contrebande.

Les tremblements de terre à tout moment, les ouragans en saison : Les premiers peuvent tout détruire et les seconds dévastent les plantations, en particulier les caféières et les cacaoyères. La fréquence des catastrophes fait du milieu du 18ème siècle une période difficile. Après le tremblement de terre de 1736 et l’ouragan de 1738, les petits habitants de la Grande-Terre, ruinés, provoquent des troubles. L’ouragan de 1751 cause une nouvelle disette.

En 1758, le Canada étant défait, les Anglais cherchent à conquérir les Antilles. En Guadeloupe, le courage des colons ne compense pas l’irrésolution du gouverneur : Basse-Terre, Saint-François, Sainte-Anne et le Gosier incendiés, les plantations dévastées, des milliers d’esclaves capturés et expédiés à Antigua. La Guadeloupe capitule dans l’honneur après trois mois de combats, le 23 avril 1759. L’occupation anglaise a cependant des effets bénéfiques pour les colons : ils ne sont pas lésés ; la traite anglaise leur permait d’acquérir des esclaves en grand nombre pour reconstruire leurs habitations-sucreries et mettre en valeur la Grande-Terre. En rasant le Morne Renfermé, les Anglais comblent les marais et créent Pointe-à-Pitre. Le traité de Paris, qui met fin à la Guerre de sept ans, laisse à la France la Guadeloupe et la Martinique. Toute guerre entre les puissances maritimes et la France provoque le ralentissement et même l’arrêt du commerce des îles, la marine du roi n’étant pas des plus fortes. Les salaisons, l’huile, le froment, les tissus n’arrivent plus. Par ailleurs, il faut toujours craindre une attaque anglaise à partir de la Barbade et d’Antigua.  

  • HIÉRARCHIE COLONIALE ET MÉTISSAGE

Le planteur (maître case) est la personne qui est au sommet de la couche sociale. Il est le propriétaire d’une surface agricole qu’il exploite par l’intermédiaire d’un commandeur (homme de confiance) ou d’un gérant et d’un certain nombre d’esclaves ou d’engagés (les 36 mois). Il habite, en règle générale, dans une habitation, d’où il dirige ses affaires. Dans l’habitation, on distingue les "Nègres d’Afrique", les "Nègres créoles" nés sur l’île, généralement voués à la domesticité. Le "Nègre marron" est un esclave en fuite. Le colon qui n’appartient pas à la classe convoitée de planteur est connu comme le "petit-blanc" (péjoratif) ou encore "petit habitant". De part ses faibles moyens, il est souvent confondu avec l’engagé. Il dispose parfois de terres et de quelques esclaves. Cette classe aurait été en partie à l’origine des blancs-matignons qui se sont regroupés dans les environs des Grands Fonds. La "seule richesse" des petits-blancs étant leur couleur de peau, ils auraient pris le soin de ne pas se métisser afin de préserver leurs chances de devenir, un jour peut-être, planteur.

Dans un premier temps, les descendants des colons uniquement sont appelés "créoles", de l'ancien espagnol "creollo", devenu "criollo", passé dans les langues française et anglaise entre 1595 et 1605 et qui désigne d'une façon générale une personne née dans une ancienne colonie, de parents venus d'ailleurs. Ce terme a pris un registre beaucoup plus large avec le temps, incluant tout "être" né dans les colonies allant jusqu’à qualifier les pratiques locales. Le terme de "béké" (habitant créole avec une peau de couleur blanche, et descendant des premiers colons européens) que l’on utilise toujours aujourd’hui est apparu par la suite.  Certains descendants de pauvres ou modestes gens, de soldats, d'artisans ou travailleurs européens, venues très tôt aux Antilles françaises, avant même l'arrivée massive des esclaves africains pour certains, métissés ou non avec la population d'origine Africaine, sont rejetés par les classes riches. Ils sont appelés "Béké goyave" car certains d'entre eux sont affectés à la récolte de la goyave et résident sur ces plantations.

Après l’arrivée des premiers colons, l’armature sociale rigide régissant les rapports entre les individus ne s’est pas faite en un jour. Diverses personnes de classe libre, y compris les planteurs, continuent le métissage, reconnu ou non, consentant ou non ; ce qui a donné les "sang-mêlé". Il est apparu alors des expressions au fil du temps pour définir les différentes nuances de couleur. Les plus connues étant "mulâtre" (mélange noir-blanc, métis), "chabin" (mélange noir-blanc, mais avec des traits flagrants des deux apports, comme une peau et des cheveux clairs mais des traits négroïdes), "quarteron", "griffe" (mélange noir-mulâtre), "câpre" (métissage léger), etc. Quelle que soit la nuance, cela donnera la classe dite "homme de couleur libre". Leur nombre augmentera régulièrement créant carrément une nouvelle classe dite "intermédiaire", alimentée par des affranchissements. La Révolution a créé officiellement dans ses recensements le terme de "rouge", désignant les anciens esclaves et les hommes de couleur libres. L’apport ethnique de la population continuera au 19ème siècle où l’on voit arriver des Indiens (très peu de Chinois, quelques Japonais). Ils seront hiérarchisés d’emblée au plus bas de l’échelle et enrichiront ce vocabulaire bien particulier avec "z’indien malabar", "coolie", "chapé-coolie" (mélange noir-coolie, péjoratif), "bata-zindien" (mélange noir-coolie, péjoratif).

 

de 1789 à 1848
DES IDÉES RÉVOLUTIONNAIRES
à l'abolition de l'esclavage

 

Mais l’éducation se développe chez les hommes de couleur et les "nègres" libres : ils lisent les philosophes et partagent les idées nouvelles. Arrivé à son apogée, le commerce de l’esclavage est confronté à la critique dans les sphères intellectuelles des grandes puissances du 18ème siècle. Dans la France des Lumières, les camps prennent forme et l’Ancien Régime est mis en cause. Jean-Jacques Rousseau dénonce le Code Noir. Afin d’apaiser les esprits, le gouvernement de Louis XVI prendra quelques décisions factices, comme celle d’interdire les mauvais traitements. C’est dans un tel contexte que l’on arrive à la Révolution (1789) qui plonge la France dans une anarchie et un désordre total. Des idées révolutionnaires et un roi décapité entraînent de nouveau la France en guerre, seule contre l’ensemble des monarchies. Eloignées de la métropole, les Antilles reçoivent des informations au compte goûte. L’assemblée coloniale rejette la Révolution, qui, dans son élan, a rendu public la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789).

 

Et malgré l’interdiction du roi, les colons résidant à Paris se font représenter aux États Généraux (assemblées extraordinaires réunissant les trois ordres de la société - Noblesse, Clergé, Tiers - convoquées par le Roi pour traiter d'une crise politique). Ils s’opposent à la Société des Amis des Noirs qui compte parmi ses membres des hommes déjà célèbres : La Fayette, par exemple, ou encore Mirabeau, neveu d’un ancien gouverneur de la Guadeloupe qui a épousé une "négresse" au milieu du siècle. Aux Antilles, la révolution est bien accueillie et rares sont ceux qui ne se sentent pas patriotes. Mais tous ceux que le travail des esclaves enrichit refusent de les libérer. En revanche, les hommes de couleur libres ont des amis parmi les colons qui souhaitent que tous les hommes libres aient les mêmes droits. Mais beaucoup s’inquiètent du dynamisme des hommes de couleurs : ils concurrencent les blancs dans tous les métiers qui ne leur sont pas interdits. Il y a donc des patriotes qui refusent l’égalité entre les hommes. Le plus célèbre d’entre eux est Coquille Dugommier, grand planteur des Trois-Rivières, en Guadeloupe, et général révolutionnaire.

 

esclavage en guadeloupe

Sceaux anglais et français (notons la différence...) de la Société des Amis des Noirs

C’est au Carbet, à la Martinique, qu’un premier soulèvement de "nègres révolutionnaires" a lieu en août 1789. Il échoue. Il en est de même en avril 1790 dans l’Est de la Basse-Terre. Mais la révolte des "nègres des Trois-Rivières" et l’égalité des droits accordée aux hommes de couleur en 1792 provoquent des vagues d’émigration des colons vers les îles anglaises. 

La Guadeloupe en est affaiblie et les Britanniques en profitent : ils débarquent au Gosier le 11 avril 1794. Le 20 avril, le gouverneur Victor Collot capitule face au général britannique Thomas Dunbas qui s'empare de l'île, après l'attaque du fort Fleur-d'Épée, occupé en majeure partie par des noirs et gens de couleur. Tous sont tués. Les colons émigrés et rentrés avec les Britanniques lancent immédiatement des représailles contre les Républicains. Mais les Jacobins des Antilles ont bien introduit le désir de Liberté dans le coeur des hommes de couleur de Pointe-à-Pitre et de la Grande-Terre et ceux-ci résistent aux cruautés de l’occupant. Ils attendent des jours meilleurs...

Et au même moment, un certain Jean-Baptiste Victor Hugues est désigné Commissaire de la République à la Guadeloupe par la Convention nationale en 1794. Sa tâche n’est pas mince : Victor Hugues est officiellement chargé d’appliquer le décret du 4 février 1794 qui prononce l'abolition de l'esclavage dans tous les territoires français. Mais pour cela, il devra reprendre la Guadeloupe aux Anglais... Le 2 juin, il débarque à la Pointe des Salines avec les 1000 soldats des généraux Cartier et Aubert. Il est certain de recevoir l’aide des Jacobins et de la population lassée par les cruautés contre-révolutionnaires. Avec leur aide, il occupe Pointe-à-Pitre le 6 juin et affiche le même jour le Décret abolissant l’esclavage. Par ce geste, il enrôle plus de 3000 hommes de couleur que l’on appellera les sans-culotte noirs. Grâce à leur courage, en particulier de Vulcain, les Anglais venant de la Basse-Terre échouent devant Pointe-à-Pitre le 2 juillet : la ville prend le nom de Port-de-la-Liberté. Le 6 octobre, le Général Graham capitule après de nombreuses batailles sanglantes par lesquelles les Britanniques tentèrent de reprendre le contrôle des îles de Guadeloupe. Le 11 décembre, les Britanniques ont complètement quitté la Guadeloupe, qui repasse aux mains de la France et de la Révolution. La Guadeloupe libérée, Victor Hugues étend progressivement son action aux îles voisines, parmi lesquelles La Désirade le 17 juillet 1794, Marie-Galante le 27 octobre suivant.

Quelques mois d'une paix relative règnent, acquise au prix de l'application de la Terreur (1793-1794), période au cours de laquelle les royalistes sont pourchassés, des centaines de Blancs créoles guillotinés. Ceux qui avaient juré fidélité au roi d’Angleterre sont les plus visés. Comme en France, le but du gouvernement est d’effacer le souvenir de la monarchie, on change des noms de paroisses, des églises sont transformées en hôtels de ville. Les grandes habitations sont saisies et exploitées au profit du gouvernement. Mais les anciens esclaves doivent y travailler sans la rétribution promise. Ils se révolteront en 1797 au Lamentin et à Marie-Galante. Certains hommes de couleur deviennent corsaires, terrorisant les Anglais, enrichissant la Guadeloupe. 

Victor Hugues nommé Agents du Directoire (1795-1799) en 1796, met la Guadeloupe en état de siège le 6 janvier 1798, car l'ordre public n'y est plus assuré. La Métropole, en manque de sucre et de tabac, exige que l'économie de plantation se maintienne, mais les békés envisagent une nouvelle fois de livrer les îles aux Britanniques. Pour augmenter la gravité de la situation, la Soufrière entre en éruption le 22 avril. Le 5 juin 1798, le Général Desfourneaux est nommé Agent du Directoire en remplacement de Victor Hugues. Ce remplacement fait suite aux pressions des émigrés de Guadeloupe rentrés en France, et aux excès de l'administration mise en place par ce dernier. Le 2 janvier 1799, Victor Hugues redevenu simple citoyen, réside à Basse-Terre. Sa présence dans l'île gêne les nouveaux dirigeants qui parviennent par un subterfuge à le retenir sur un navire en rade de Basse-Terre et à le rapatrier en France contre son gré.

Après l’élimination des Jacobins, on cherche à réprimer ceux qui ont aidé Victor Hugues : les sans-culottes blancs, les nègres et les hommes de couleur. Ils formaient toute l’armée où neuf hommes sur dix étaient noirs. De nombreux officiers, guadeloupéens comme Joseph Ignace ou Massoteau, et martiniquais comme Magloire Pélage ou Louis Delgrès, commandaient la troupe.

Le premier désir de Napoléon est de stopper la marche effrénée et sans fin de la Révolution afin de remettre de l’ordre et, par conséquent, de rétablir l’économie. Il décide que les colonies ne sont pas la France et elles peuvent continuer sous le régime de l’esclavage !

En 1801, Jean-Baptiste Raymond de Lacrosse est nommé capitaine général de la Guadeloupe par Napoléon Bonaparte. Il a jadis défendu la liberté et l’égalité, et embrassé un Nègre. Mais il manifeste aussitôt qu’il n’est plus le même homme en faisant arrêter et molester uniquement des hommes de couleur. Lacrosse fait courir le bruit que les nègres sont en rébellion contre la métropole. De plus, la paix qui s’annonce avec les Anglais alarme les hommes de couleur : le retour à l’esclavage leur semble décidé. Ignace et Massoteau qui comprennent ce qui se trame le font savoir à leurs amis. Mais Pélage, le plus gradé des Antillais, obéit à ses supérieurs même s’il sent également la menace qu’ils représentent. En octobre 1801, la révolte militaire éclate quand Lacrosse veut arrêter Ignace. L’armée choisit Pélage pour chef et le met à la tête de la colonie. C'est un soldat valeureux et un modéré qui cherche, comme Delgrès, le bien de la Guadeloupe et son maintien dans la République. Il tente vainement de ramener Lacrosse aux sentiments qui étaient les siens en 1793. Le chef déchu préfére s’enfuir à la Dominique d’où il prépare la défaite des hommes de couleur : Lacrosse y attend l'expédition commandée par le général Richepanse - chargé par le premier consul Napoléon Bonaparte de rétablir l'esclavage - et rentre avec elle à la Guadeloupe. C'est à ce moment-là que Delgrès, jusque là aide de camp de Lacrosse (ce dernier le qualifie de sans-culotte, ce qui indique son profond engagement révolutionnaire), rejoint les officiers rebelles. Il est nommé chef de la place de Basse-Terre par le général Pélage. C'est d'ailleurs de Basse-Terre, qu'il fait ouvrir le feu sur les bateaux portant les troupes du général Richepanse. Mais le débarquement des troupes esclavagistes se produit tout-de-même et donne lieu à de très violents combats à Basse-Terre et dans les environs. À partir du 10 mai 1802, dans la région de Basse-Terre, Delgrès est le chef de la résistance contre les troupes consulaires du général Richepanse. C'est alors qu'il fait afficher sur les murs de Basse-Terre une célèbre proclamation d'abolition de l'eclavage, rédigée avec un créole de la Martinique placé sous ses ordres, l’adjudant général Monnereau. Réfugié avec Ignace, au fort de Basse-Terre (aujourd’hui Fort Delgrès), il est cerné par les troupes de Richepanse, qu’il nargue en jouant du violon sur les remparts. Fort qu’ils doivent ensuite abandonner le 22 mai 1802 (en s'échappant secrètement avec ses hommes par la poterne du Galion à l'arrière du fort). Ignace parvient à se rendre jusqu'à Baimbridge avec ses hommes, mais encerclés, ils se suicident, en vertu de la devise révolutionnaire "Vivre libre ou mourir". De son côté, Delgrès se réfugie au pied de la Soufrière à Matouba, vers Saint-Claude. Le 28 mai 1802, se voyant perdu, Delgrès et ses 300 compagnons se suicident à l'explosif dans leur refuge de l'Habitation Danglemont à Matouba, en vertu de la même devise... Les survivants, dont l’épouse de Delgrès, Rose, dite Toto, qui n’avait pu suivre son mari, s’étant cassé la jambe, sont massacrés au cours d’une effroyable répression. L’adjudant général Monnereau invité, du fait qu’il n’était pas un Afro-descendant, à renier le texte rédigé avec Delgrès, refusera et sera pendu.

Louis Delgrès       Buste de Louis Delgrès à Petit-Canal

Richepanse, avec la collaboration d’hommes de couleurs félons commandés par Pélage, rétablit l’esclavage et, à la demande de Bonaparte, impose aux anciens libres de prouver qu’ils l’étaient déjà dix ans plus tôt. L'esclavage fut rétabli à la Guadeloupe pendant 46 ans, jusqu’à son abolition définitive en 1848. 

Lors des Cent Jours, Napoléon, par choix politique, avait décidé de supprimer la traite en mars 1815, mais Louis XVIII, de nouveau à la tête du gouvernement, rejette cette décision qui n’est pas sienne. La Restauration s’installe définitivement en France (1815-1830), avec le retour de Louis XVIII (1815-1824). 

Le marronnage est particulièrement important entre 1802 et 1807 en Guadeloupe. Peut-être les marrons ont-ils un chef, Mocachy. Les colons forment des groupes de chasseurs des bois pour les traquer. Les maîtres vivant dans la peur des empoisonnements, voient en leurs esclaves des sorciers. Suspicion et répression provoquent des révoltes fréquentes à la Martinique et à la Guadeloupe. 

  • MUTATIONS TECHNOLOGIQUES, ECONOMIQUES... ET SOCIALES

L’habitation est devenu un véritable village aux bâtiments multiples. Pour un domaine de 284 hectares, l’habitation de Marquisat, en Guadeloupe, a 42 bâtiments. Le moulin est l’élément fondamental, accompagné de la sucrerie, en pierres. La purgerie reste inchangée mais une vinaigrerie complète l’ensemble. Les cases-nègres, réservées aux esclaves, sont étroites, construites en matériaux protégeant mal de l’humidité. L’habitation est très souvent dirigée par le maître secondé par le géreur, sorte de régisseur recruté parmi les petits Blancs. Les hommes de couleur ont pris place comme commandeurs. Sur le plan technique, des améliorations sont introduites : les cylindres métalliques horizontaux broient mieux la canne et surtout, la vapeur sert à actionner les moulins. Le premier moulin à vapeur apparaît en 1810 mais la diffusion de cette innovation est lente. 

L’arrêt de la traite et l’agitation des ateliers privent les sucriers de main-d’oeuvre. Pendant le Blocus continental (1806-1812), la production de sucre de betterave s’est développée et, depuis, le sucre de canne se vend moins bien en Europe. La modernisation des sucreries coûte cher, les machines étant importées de France, d’Angleterre ou d’Écosse. A ces difficultés économiques s’ajoute pour la Guadeloupe, le tremblement de terre de 1843 qui détruit 250 installations sucrières et ruine un grand nombre de colons. Pour réaliser l’indispensable modernisation, des planteurs s’associent, construisent une usine centrale qui broie leurs cannes. Ailleurs, ce sont les métropolitains qui montent l’usine à leurs frais : c’est le cas de Zévallos, en 1844. Mais l’industrialisation ne prend de réelle ampleur que lorsque le Crédit Foncier Colonial aide à bâtir de grandes usines, dès 1863. De grands domaines se constituent alors, comme celui de Beauport, aux dépens des colons que ruinera la crise de 1882 (faillite de l'Union Générale, banque fondée en 1878, qui entraînera le premier gros krach boursier).

Et tandis que les habitants montraient leurs faiblesses et leurs divisions au cours de la Révolution, les esclaves, au contraire, entrevoyaient une libération. Elle a d’ailleurs lieu en 1822 à Saint-Domingue, avec l’indépendance d’Haïti. Quant aux libres de couleur, mulâtres ou noirs, ils sont mécontents des mesures racistes imposées par la Restauration : les professions libérales leur sont à nouveau interdites, ils ne peuvent occuper les bancs réservés aux blancs au théâtre ou à l’église. Ils publient à Paris une brochure sur le sort qui leur est fait, en 1823. L’évolution démographique déjà commencée au 17ème siècle s’accélère : le nombre des blancs diminue contrairement à celui des hommes de couleur. De 1790 à 1831, le nombre des esclaves de la Guadeloupe augmente de 8% en dépit de l’interdiction de la traite négrière en 1806. Les libres de couleur profitent des affranchissements, plus nombreux, les esclaves pouvant acheter leur liberté.

L’esprit de réforme atteint la Monarchie de Juillet (1830-1848) à partir de 1831 : en février, les libres de couleur reçoivent les droits civils, l’emprisonnement des esclaves est réglementé, l’arbitraire des maîtres est limité. L’Europe de l’ère industrielle bouillonne, l’économie mondiale connaît de fortes avancées techniques et l’anti-esclavagisme, mené en grande partie par les mouvements anglo-saxons, gagne du terrain. L’Angleterre abolit carrément l’esclavage en 1833, rendant la liberté à une population dont une partie se trouve… proche de la Guadeloupe. Déjà des esclaves fuient vers Antigue et la Dominique. La loi Mackau de 1845, du nom du Ministre de la Marine et des colonies, permet aux esclaves de posséder des biens et de racheter leur liberté même si le maître la leur refuse. Cette politique n’est pas seulement humanitaire, il devient dangereux de maintenir l'esclavage dans les colonies françaises...
 

Fils d’un riche porcelainier, Victor Schoelcher découvre l’esclavage au cours d’un voyage en Louisiane et à Cuba. Il en est horrifié et publie plusieurs ouvrages réclamant son abolition (mais pas immédiatement...). Si la mémoire collective l’a retenu avant tout c’est bien pour son indéniable rôle de fil conducteur. Engagé dans cette cause à partir des années 1830, il n’a jamais baissé les bras, montrant au fil des ans la seule issue possible : l'abolition pure et simple. La révolution de février (1848) qui renverse Louis-Philippe et donne le pouvoir à des hommes de progrès lui fournit l’occasion. L’avènement de la IIe République lui assure enfin le terrain favorable. Un gouvernement provisoire se forme après la fuite de Louis-Philippe. Il en devient le sous-secrétaire d’Etat à la Marine (5 mars 1848). Le 27 avril 1848, l’acte d’émancipation est signé et la phrase historique apparaît : "Nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves… " Mais les délégués du Gouvernement chargés d’apporter les décrets tardent à arriver aux îles. Les esclaves suivent l’évolution des idées en France et savent que, depuis 1834, leurs amis de la Société pour l’Abolition de l’Esclavage progressent : ils s’impatientent à nouveau. Pour éviter que les troubles qui éclatent le 22 mai 1848 ne s’aggravent, l’abolition est proclamée à la Martinique. En Guadeloupe, où les colons s’inquiètent de l’hostilité des esclaves, on en fait autant le 27 mai. Lorsque Gâtine et le mulâtre Perrinon débarquent avec les décrets, la liberté, voulue par Schoelcher et qui fut l’objet du combat séculaire des "Nègres" et des hommes de couleur, est déjà acquise.

Victor SchoelcherL'abolition de l'esclavage dans les colonies française par Aguste François Biard

Jadis esclaves, brusquement libres, plus de 80.000 personnes doivent décider de leur avenir. Liberté oui, mais l’équilibre social, lui, ne se trouve pas instauré du jour au lendemain, il nécessitera même une longue période d’adaptation allant jusqu’au début du 20ème siècle.

 c'est à cette époque qu'apparaît le "pain chaudière", l'ancêtre du bokit ...

de 1848 à 1945
UNE SOCIÉTÉ A (RE-)CONSTRUIRE
sur fond de révolution industrielle

 

  • DE NOUVEAUX FLUX MIGRATOIRES

Plus efficace que le moulin traditionnel, l’usine exige une organisation permettant aux machines de broyer de la canne pendant toute la durée de leur fonctionnement. Il lui faut plus de cannes ; la récolte étant encore manuelle, il lui faut également une main-d’oeuvre plus nombreuse. Les anciens esclaves de plantation, appelés désormais cultivateurs, fuient les habitations pour créer sur les friches de petits jardins vivriers. Ils augmentent ainsi le déficit de main-d’oeuvre. Les recherches d’alternatives à une main-d’œuvre servile avaient déjà commencé avant l'abolition. En 1852, un contrat de travail est imposé à ceux qui sont âgés de dix ans et plus. La même année, on fait appel à l’immigration des Congos (ou Kongos, du royaume éponyme d'Afrique centrale, au 16ème siècle) : 9.000 à la Martinique, 6.000 à la Guadeloupe. Imitant l’Angleterre, la France s’engouffre vers une solution toute prête : l’Inde et ses comptoirs toujours en sa possession (immigrants surnommés "Coolies"). 

Trop souvent présentée comme "une deuxième forme d’esclavage", il s’agit bien à la base d’une forme d’immigration économique où les impliqués viennent dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce sont les dérives (filières illégales, abus, etc.) qui viendront noircir le tableau, éloignant le projet de sa volonté initiale. La Guadeloupe n’est pas la seule destination : de nombreuses autres îles de la Caraïbe et de l’Océan indien, ainsi que le continent américain ont été concernés par ce processus. Le premier bateau, l’Aurélie, arrive en Guadeloupe en 1854 avec plus de 300 passagers. Les planteurs, eux, doivent reverser une taxe pour chaque ouvrier. En 1880, on dénombre une population de 24.000 (45.000 ? Les chiffres divergent...) personnes d’origines indiennes, dispersées sur l’archipel. Japonais, Chinois, Portugais ne forment que de faibles minorités qui abandonnent vite l’habitation. Aujourd’hui, l’île conserve cet héritage social, intégré dans la société guadeloupéenne (comme la communauté indienne, très présente encore dans certaines communes comme Saint-François). 

  • UNE ECONOMIE EN DIFFICULTE

A la fin du 19ème siècle, le sucre de canne est concurrencé de plus bel par le sucre de betterave en Europe. Les colons ont peu d’argent. Il en faut désormais beaucoup pour les usines et les machines à vapeur. Ils ont demandé d’être indemnisés pour les esclaves qu’ils ont perdus. La République accepte, mais elle affecte l’essentiel de ces sommes au capital de la Banque de la Martinique et de la Banque de la Guadeloupe fondées en 1851. Ces banques peuvent battre monnaie et prêter de l’argent aux planteurs ; ceux-ci sont à la fois actionnaires, administrateurs et clients. Quand éclate la crise sucrière, l’endettement des planteurs est considérable en Guadeloupe. La chute du prix du sucre entraîne celle du prix de la canne et des salaires. Ouvriers et petits planteurs s’y opposent et la violence s’installe entre 1882 et 1936. La bourgeoisie de couleur prend le parti des ouvriers et fait élire pour les défendre, René-Boisneuf, Victor Sévère et Légitimus. Député dès 1898, ce dernier recherche l’entente entre les propriétaires d’usines et les ouvriers agricoles.

  • LA PREMIERE GUERRE MONDIALE

Afin de préparer la guerre, le service militaire est créé en 1913 dans les anciennes colonies. Et quand au mois d’août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, nombre de jeunes guadeloupéens des classes 1912 et 1913 effectuent leur service militaire. Ils sont donc envoyés au front, bien jeunes, dès le début du conflit. La politique de l"hivernage" permet le déplacement des soldats antillais vers le sud de la France ou en Afrique du nord où le climat est plus clément. Malgré tout, nombre d'entre eux vont combattre sur le front de l'est. Au total, 52.000 soldats antillais sont incorporés dans les armées de la République pour reprendre l'Alsace et la Lorraine aux allemands. Plus de la moitié trouvent la mort aux combats et nombreux sont ceux qui en reviennent mutilés.

Après la guerres, les industriels, qui se sont sont enrichis par la vente du rhum aux Poilus, ambitionnent de racheter la totalité des plantations de cannes afin de contrôler toute la chaîne de production. Ce qui ne se fait pas sans heurts. Les ouvriers exploités se mettent en grève : en 1926 à Port-Louis, en 1930, en 1936 au Boucan, etc.


 

  • LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Éloignées des champs de bataille européens, les Antilles échappent à l’agression germano-italienne. Mais, dès le décret de mobilisation, des comités de soutien se créent en Guadeloupe pour envoyer aux soldats de France des colis de vêtements et de nourriture. Des motions sont votées partout, assurant le gouvernement d’un profond amour pour la France et de la volonté de "poursuivre la guerre jusqu’à la lutte finale". Les Syriens et les Libanais collectent des fonds pour la Défense nationale. Une grande force navale stationne aux Antilles : porte-avions Béarn, croiseurs Jeanne-d’Arc et Émile-Bertin, lequel a transporté aux Antilles les réserves de la Banque de France.

L’Armistice signé, le maréchal Pétain devient le Chef de l’État français, qui accepte la domination de l’Allemagne. Aux Antilles, l’amiral Robert à Fort-de-France et le gouverneur Sorin en Guadeloupe vont appliquer la politique du maréchal. Robert a le rôle essentiel de haut-commissaire de la République. Avec l’appui du haut-clergé et des grands propriétaires, les représentants de Vichy appliquent une politique autoritaire : suppression des organisations politiques, censure, surveillance du courrier. La jeunesse est embrigadée et chante les louanges du maréchal.

Mais dès juillet 1940, des antillais, dont Paul Valentino, s’insurgent contre la politique de Pétain et suivent le général de Gaulle. Le ravitaillement faisant défaut, l’économie des îles se dégradant, des groupes de résistants se forment, comme Pro Patria (Pour la Patrie), en Guadeloupe. Pour combattre l’Axe, ils gagnent clandestinement la Dominique et Sainte-Lucie : c’est la Dissidence. En 1943, Robert fuit devant la révolte militaire et Sorin est arrêté. Les îles sont libérées un an avant la France.

de 1945 à 2000
MUTATION POLITIQUE
sur fond de contestations sociales

  • DE LA DÉPARTEMENTALISATION A l'"INITIATIVE LOCALE"

La guerre est finie et De Gaulle rend hommage aux Antilles. Économiquement parlant, la Guadeloupe ressent en partie la situation calamiteuse de la France d’après-guerre : pénuries et envolées des prix. Les modérés s’étant donnés à Vichy pendant la guerre, les élections marquent une forte poussée de la gauche jusqu’en 1958. Ainsi, la fédération communiste de la Guadeloupe est fondée en avril 1944 et s’exprime à travers L’Étincelle. Elle fait élire des députés parmi lesquels une femme, Gerty Archimède. Le Conseil Général institué en 1827, élu depuis 1871, est composé d’un nombre croissant d’hommes de couleur et de noirs. 

Après de longs débats sur le statut à définir pour les "colonies d’outre-mer", la loi du 19 mars 1946 est promulguée sous le "ministère de la France d’outre-mer", et la Guadeloupe devient finalement un département : Saint-Martin et Saint-Barthélemy lui sont rattachés. Le préfet qui représente l'état remplace désormais le gouverneur. La départementalisation, est d’une certaine manière, la deuxième étape marquante de l’histoire de l’île, la première étant l’abolition de l'esclavage.

Mais si le nouveau statut de département est important au niveau législatif, côté social, la vie continue sans grand changement : Le secteur agricole demeure la première activité économique en employant presque la moitié de la population active dans les années 1950. Le chômage se développe. Des contestations sont formulées, souvent avec violence. En 1950, une grève dure des fonctionnaires permet l'obtention de l’égalité de traitement entre créoles et métropolitains.

Dans le courant des années 1950, la Caraïbe et les pays du Commonwealth connaissent des mouvements de migration vers l'Europe. Les Antilles françaises sont également concernées. L’Etat français prend alors les choses en main et met sur pied le BUMIDOM (Bureau des migrations des départements d’outre-mer) en 1961 : On part soit pour travailler soit pour faire des études. L’Ile-de-France est la région la plus concernée par l'accueil des Antillais. Mais nombreux sont cependant ceux qui restent sur place et qui ne trouvent pas d’emploi.

Et malgré le refus de la Guadeloupe d'accéder à l'indépendance par référendum en 1958, peu après l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique noire et celle de l’Algérie en 1962, les tensions politiques et sociales perdurent et les années 60 voient naître et se formaliser une mouvance nationaliste guadeloupéenne (création, par exemple, du très populaire Groupe d'Organisation National de la Guadeloupe en 1961 - cf. Focus sur l'Identité guadeloupéenne : histoire d'une revendication). Des "incidents", entre blancs et noirs, nantis et pauvres, émaillent régulièrement l'actualité…

Dans ce contexte, 1967 est l'année d'un drame que les historiens appelleront par la suite " le massacre de mai 1967 " : à la suite de différents mouvements épars de contestation sociale, politique et économique, les ouvriers du bâtiment se mettent en grève afin d'obtenir 2% d'augmentation de salaire et l'alignement de leurs droits sociaux sur ceux des ouvriers métropolitains. Mais les négociations tournent mal et des propos racistes sont prêtés à l'un des représentants du patronat. La foule gronde alors et fait front à des forces de l'ordre qui n'hésitent pas à ouvrir le feu. La première victime, membre du GONG, attise la révolte et s'ensuivent des émeutes armées. Pendant plusieurs jours, Pointe-à-Pitre et les Abymes connaissent des affrontements et un état de couvre-feu est décrété, les rues étant quadrillées par les militaires. Finalement, les ouvriers obtiennent 25% d'augmentation de salaire, mais le nombre des victimes civiles, tout d'abord réduit à moins d'une dizaine par les autorités, avoisinerait finalement la centaine...

Finalement, la voie de la décentralisation s'accentue et prend forme en 1982 avec la loi Gaston Deferre qui crée les régions et accorde d’importants pouvoirs à l’Assemblée Régionale. Il y en a une en Guadeloupe, une autre à la Martinique, et peu à peu les élus des deux îles apprennent à s’entendre sur des positions communes. En 1983, la Guadeloupe se dote d’une seconde collectivité, le conseil régional (41 membres). Cela donne naissance à un statut particulier, appelé "mono-départemental". Née le 5 mars 1929 à Saint-Claude et avocate de profession, Lucette Michaux-Chevry devient la première présidente de la nouvelle collectivité. Trois ans plus tard, elle sera nommée secrétaire d’Etat à la Francophonie sous le gouvernement Chirac.

Entre temps, et en 10 ans d’intervalle, la Guadeloupe subit à deux reprises les effets dévastateurs de deux cyclones : David (1976) et Hugo (1989). Toujours dans les mémoires, ce dernier, qui sera comparé à celui de 1928, fait de nombreux morts, des milliers de sans-abri et détruit quasiment toutes les cultures. Il sera suivi d’un élan de reconstruction, sévèrement critiqué par certains milieux. 

La décentralisation sera suivie dans les DOM par une succession de lois visant à favoriser le développement politique, social et économique. Parmi elles, citons la "Loi d’orientation pour l’outre-mer" (LOOM) qui entre en vigueur un an après la fameuse Déclaration de Basse-Terre (décembre 1999). Signée conjointement par les présidents des conseils régionaux Lucette Michaux-Chevry, Alfred Marie-Jeanne (Martinique) et Antoine Karam (Guyane), la déclaration se donne pour objectif de rendre public le bilan négatif des trois départements. Ce manifeste est très important, et brise des "tabous". Les termes "d’assistanat généralisé, dérives sociales" sont pointés du doigt et la nécessité d’une "initiative locale" est mise en évidence.