- Mémorial ACTe (mai 2015)
- Mwen sé Charlie (janvier 2015)
- La stèle de la discorde (avril 2015)
- Les femmes victimes de violences en Guadeloupe (novembre 2015)
- Les jours fériés en Guadeloupe (octobre 2015)
Le plus important lieu de mémoire jamais consacré au souvenir de la traite négrière et de l'exclavage.
- CHRONOLOGIE
- 1998 : Première évocation d'un "Mémorial caribéen de la Traite et de l'Esclavage" par le président nationaliste du Comité International des Peuples Noirs (CIPN) : Luc Reinette. Une sculpture en trompe l’œil avait alors été érigée près de l'aéroport Pôle Caraïbe, et a servi durant plusieurs années de point de rassemblement aux porteurs d'un projet plus ambitieux de mémorial.
- 2004 (26 octobre) : Le conseil régional de la Guadeloupe, par la voix de son président Victorin Lurel, décide de financer un tel projet"la construction de la mémoire collective et d’encourager la recherche sur la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions".
- 2005 (juin) : Création d'un comité scientifique, autour du professeur/historien Jacques Adelaïde-Merlande, afin de préciser les contours du projet scientifique.
- 2006/2007 : La conception-programmation, effectuée par BICFL Ingénierie et CED Guadeloupe, ainsi que le propos scientifique et culturel, réalisé par le comité scientifique, sont validés par l’Assemblée Régionale et constituent la base d'un concours international pour la mise en oeuvre du projet.
- 2007 (juin) : Lancement du concours de maîtrise d'œuvre pour la construction du mémorial.
- 2008 (janvier) : Désignation de l'équipe lauréate (cf. § ARCHITECTURE).
- 2008 (27 mai) : En mémoire au décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848, la première pierre est symboliquement posée à l’emplacement de l'ancienne usine sucrière Darboussier où le travail forcé existait encore au 19ème siècle.
- 2013 (mars) : début des travaux (nombreux retards, l'inauguration était initialement prévue en mai de cette même année…).
- 2014 : Le département réalise la route d’accès, et la Région crée un ponton d’accueil de navires, la promenade de front de mer et l’aménagement du parvis.
- 2014 (octobre) : Le CIPN se désolidarise du Conseil Régional, dénonçant une dérive de sens du Mémorial et une même interprétation de certains faits historiques.
- 2015 (10 mai) : À l'occasion de la commémoration nationale de l'abolition de l'esclavage, inauguration par François Hollande, en présence des chefs d'État d'Haïti (Michel Martelly), du Sénégal (Macky Sall), du Mali (Ibrahim Boubacar Keita) et du Bénin (Thomas Boni Yayi), et d'une quinzaine de ministres caribéens.
- 2015 (27 mai) : A l'occasion de la commémoration de l'abolition de l'esclavage en Guadeloupe, organisation d'un weekend mémorial sur l'esplanade du Mémorial ACTe.
- 2015 (10 juin) : Nomination de son premier président, Jacques Martial (vous savez : "Bain-Marie" dans Navarro ! Mais pas que...).
- 2015 (début juillet) : Ouverture au public des expositions.
Le Mémorial ACTe vu depuis la Présidence de la République :
En 2007, Jacques Chirac confie à l'écrivain Édouard Glissant une mission en vue de la création d'un Centre national consacré à la traite et à l’esclavage, qu'il envisage d'établir à Paris. L'idée est abandonnée par Nicolas Sarkozy (2007-2012), opposé à l'idée de repentance. La création du Mémorial ACTe figure finalement en tête des mesures pour l'outre-mer du candidat François Hollande (élu en 2012), avec financement partiel de l'État français.
- OBJECTIFS
- Créer un espace régional dédié à la mémoire et à la connaissance de la traite négrière et de l’esclavage. Il est en premier lieu destiné au peuple guadeloupéen, soucieux de la reconnaissance de son tragique passé, sans laquelle la société guadeloupéenne ne saurait sereinement se tourner vers l'avenir (cf. par exemple La stèle de Nogent). Mais, de par la dimension mondiale et pluri-millénaire du traitement de l'esclavage, il s'adresse également à tous les peuples descendants d'esclaves, à tous les étudiants, chercheurs et touristes du monde entier.
- Réhabiliter un quartier et donner le "la" du renouveau urbanistique de Pointe-à-Pitre : Implanté dans la rade du port, sur le site défraîchi de l'ancienne usine sucrière Darboussier (quartier "défavorisé" où de nombreuses cases tombrent en ruine, abritant de nos jours encore de nombreuses "travailleuses du sexe" et sujet aux trafics de drogues), il relie par une promenade la place de la Victoire à l’université, et fait figure de proue du futur cœur de ville de Pointe-à-Pitre. Les constructions récentes qui le jouxtent préfigurent du renouveau de ce quartier.
- Contribuer au développement touristique et économique de l'île : "Phare culturel", le Mémorial ACTe est également un musée, un centre d'arts vivants et d'une salle de congrès, doté de lieux de restauration. Visible dès l'entrée de la rade pontoise, il a également vocation à drainer une nouvelle économie, et à occuper une place majeure dans le développement touristique de la Guadeloupe (objectif : 300.000 visiteurs/an, dont de nombreux croisiéristes).
- ARCHITECTURE
- Acteurs :
• Atelier d’architecture BMC - J-M. Mocka-Célestine et P. Berthelot, architectes, mandataire
• Atelier d’architecture Doré/Marton - M. Marton et F. Doré, architectes
• Confino – Muséographe scénographe / Atelier Colorado – Architecte HQE
• BETCI – Groupe Encelad - BET structure / FI ingénierie – BET fluide et réseaux
• Agence TER – Paysagiste / 2AF Acoustique – BET acoustique.
- Chiffres : L'ensemble des bâtiments totalise une longueur de 240 mètres, pour une surface de 7800 m2 (dont 2500 m2 d’espaces d’expositions) sous une emprise de 1,2 ha. Le jardin panorama-orientation du Morne Mémoire de Darboussier s'étend quant à lui sur 2,2 ha. La passerelle reliant le Mémorial au jardin mesure 11,5 mètres de hauteur et de 275 mètres de long. La salle des congrès offre 256 sièges. Plus de 300 ouvriers guadeloupéens ont participé à la construction du Mémorial.
- Difficultés techniques : Le Mémorial ACTe est situé dans une zone sismique, dans une partie de l’île particulièrement exposée aux vents violents et aux cyclones.
- Conception : L’édifice est composé de deux bâtiments formant un gigantesque serpent tapissé de granit noir, troué par une arche monumentale, surmonté d’un lacis en aluminium anodisé. Ses façades sont recouvertes d’éclats de quartz noirs. Une longue passerelle relie le second étage du Mémorial au Morne Mémoire, situé sur la colline voisine, enjambant au passage le parvis ainsi que la route.
• Organisé autour d’un patio central, hall d’accueil solennel qui invite aux recherches généalogiques, le premier bâtiment abrite une salle d’exposition permanente et une salle d’exposition temporaire, une cafétéria, de la restauration, une boutique, une médiathèque, un espace de recherche, l’administration et les espaces techniques.
• Lié au premier par une arche métallique qui marque la place de la commémoration, le second bâtiment abrite une salle polyvalente destinée à des congrès ainsi qu'aux arts vivants et un restaurant-bistrot de bord de mer.
- Symbolique des lieux : Des racines d’argent sur une boîte noire...
• L'emplacement au premier chef : Sur le site d'une ancienne usine sucrière "Darboussier", autrefois propriété d'un riche et puissant béké : Ernest Souques.
• La boîte noire (qui abrite l’exposition permanente) représente le socle renfermant la richesse que constitue la connaissance du passé.
• Le développement racinaire, matérialisé par une résille argentée, la protège d'une part, comme les racines du figuier maudit qui enserrent et protègent les ruines, et qui d'autre part y puise la force et la fierté nécessaire au radieux développement des peuples.
• La façade minérale en granit noir de cette boîte (comme celle du MuCEM de Marseille) sertie d'éclats de quartz, tels les millions d’âmes victimes de la traite négrière et de l’esclavage.
• Le jardin, voulu comme un lieu de recueillement, renvoie au jardin de l’esclave, seul espace de liberté qui lui était accordé certains dimanches..
• L'exposition permanente sur l'esclavage se découvre à travers 6 archipels comportant 39 îles, rappelant l'insularité d'une grande partie de la traite négrière.
• Les visiteurs passent par les cales virtuelles d’un bateau. Ils en ressortent éblouis par un torrent de lumière, à la manière des esclaves débarquant sur les plages.
- VISITES ET ACTIVITÉS
L’exposition permanente du Mémorial ACTe déborde largement l'histoire des Guadeloupéens et des Caribéens et aborde l’histoire de l’esclavage dans sa globalité, de l’Antiquité à nos jours. Elle suit les longs parcours des esclaves à travers le monde et relate le rôle de l’Afrique dans l’histoire de la traite. Elle rend également hommage aux héros de la résistance à l’esclavage, sous ses différentes formes. Un journaliste regrette cependant qu'elle ne s’attarde pas trop sur l’histoire des abolitionnismes.
L’art contemporain y est largement représenté, les œuvres interpellant régulièrement le visiteur sur des thèmes variés mais toujours en lien avec la brutalité de l'esclavage.
Enfin, la danse, le théâtre, la musique ou la photographie auront également leur place lors d'événements ponctuels organisés à partir de juillet 2015.
Certains pourront regretter le peu de panneaux explicatifs et pédagogiques et devront recourir à la médiathèque ou aux œuvres en vente à la boutique pour en savoir un peu plus.
Mais François CONFINO, muséographe reconnu, assume ce choix volontaire d'une approche artistique et émotionnelle de l'exposition, préférant des expériences sensorielles (comme des coups de canon), des écrans géants (diffusant des courts-métrages de parcours individuels) et des œuvres impressionnantes (un cylindre chronologique) succédant aux objets patrimoniaux et aux pièces muséales (des entraves que les esclaves portaient aux pieds, par exemple). A coup sûr, le visiteur ne sortira pas indifférent de cette exposition.
- LES POLÉMIQUES
- Pardon et Réparation : Le LKP et le CIPN (bien qu'initiateur historique du projet) ont décidé de boycotter l'inauguration du Mémorial ACTe du 10 mai 2015 pour les deux raisons majeures suivantes :
* La France ne veut pas aborder la question des réparations (financières).
* La France n’a jamais officiellement demandé pardon pour l’esclavage et la traite négrière.
Le LKP comme le CIPN en ont fait part à François Hollande par courrier. Jacqueline Jacqueray, présidente du CIPN, salut néanmoins "l'œuvre fondamentale aux plans architectural, symbolique et économique qui rayonnera sur toute la Guadeloupe".
- Environ 83 millions d'€uros : Le coût du Mémorial ACTe est jugé exorbitant par certains acteurs politiques de l'île, dont Mélina Seymour, fondatrice du parti Ambition Guadeloupe. Estimant que le retour sur investissement n'est pas garanti, elle déplore, dans son courrier à Victorin Lurel, qu'une grande partie de cette somme n'ait pas été attribuée à "la gestion de l’eau, la gestion des déchets, la construction d’un Centre Hospitalier" et dénonce "les moyens insuffisants dont disposent la Police et la Justice pour assurer la sécurité des Guadeloupéens, l’organisation du transport public terrestre, ou encore la continuité territoriale".
-> Victorin Lurel, président de région assume le risque financier et l'assume. Mais il met en avant le formidable outil de réconciliation sociale que représente le Mémorial ACTe.
... Et si chacun balayait devant sa porte ? C'est du moins mon point de vue.
- "Pardon, merci, s'il vous plaît." Cette formule est de Ségolène Royale, en 2009, lors d'un déplacement en Afrique de l'Ouest : "Pardon pour l'esclavage et la colonisation, merci pour tout ce que l'Afrique a apporté à l'Histoire et pour sa participation à la libération de la France et, s'il vous plaît, construisons ensemble notre avenir commun". C'est ce que devrait déclarer la France aux peuples issus de l'esclavage, quels qu'ils soient.
- Concernant les "réparations" financières, des pourparlers sont actuellement en cours : l'Etat envisage de participer partiellement ou complètement au financement de lieux de mémoires dans les différents pays ou territoires concernés, tels que le Mémorial ACTe. Ce qui n'exclue en rien une participation toute particulière au développement économique et social des DOM-TOM. Avec Aimé Césaire, il me semble que l'idée de réparation est bancale : l'esclavage est-il "réparable" ? La France doit-elle payer et pouvoir dire ensuite : "J'ai payé, tu la fermes maintenant avec ça" ? Non... Aux gens du LKP et du CIPN : Arrêtez de quémander ! Oui, les dédommagements liés à l'abolition de l'esclavage versés aux colons ont été une honte. C'est vrai. Mais dlo tombé pas ka ranmasé ! (Ce qui est fait est fait). Vous revandiquez la fierté de la Guadeloupe, alors ne vous avilissez pas à faire l'aumône.
- Enfin, plus de 80 millions d'€uros, c'est vrai que ça fait beaucoup. On ne peut effectivement s'empêcher de donner raison à madame Seymour et à ceux qui pensent que cet argent aurait pu servir à d'autres fins... Mais la faiblesse des hommes politiques ne demeure-t-elle pas la quête de la postérité ? Souhaitons seulement à monsieur Lurel que le rapport économique du Mémorial ACTe soit à la hauteur de ses investissements, et à défaut, qu'il apporte au moins la réconciliation sociale, nécessaire à l'avenir de notre chère Guadeloupe !
"ACTe" : Malgré de multiples démarches (et notamment par mail auprès des services du Mémorial), je ne sais toujours pas ce que "ACTe" ainsi calligraphié signifie... Maryse Condé (ancienne présidente du Comité pour la mémoire de l'esclavage) non plus d'ailleurs. Je ne sais si c'est rassurant...
- Rappel des faits
Charlie Hebdo fut créé en 1970. En 2006, l’hebdomadaire fait la une de l’actualité à cause de caricatures sur le prophète Mohamed (diffusées par un journal danois), dont la représentation est interdite par l’Islam. En 2007, des poursuites judiciaires, engagées contre le journal pour injure raciale et religieuse, aboutirent à un non-lieu pour cause de vice de forme dans la procédure. Le juge estima que les limites de la liberté de la presse ne furent pas franchies. En 2011, l’hebdomadaire lance son numéro intitulé «Charia Hebdo ». À la une, encore une caricature du Prophète Mohamed. Les locaux du journal furent saccagés. En 2012, il publie une caricature du prophète, dans une posture peu habillée. La colère des musulmans monte. Le directeur de publication du journal est placé sous protection policière.
Le mercredi 7 janvier 2015, les responsables de l’hebdomadaire sont surpris par deux tireurs encagoulés, armés de kalachnikovs dans les locaux du journal. Ils ouvrent le feu en rafale et tuent 12 personnes, dont 4 des piliers de Charlie Hebdo. Cet attentat est ainsi le plus grave survenu en France depuis 1986.
Les 10 et 11 janvier, des "marches républicaines" sont organisées sur tout le territoire français, afin de soutenir la liberté d’expression. 4 Millions de manifestants rassemblés derrière des slogans tels que "Je suis Charlie" et "Not in my Name" (brandis par des musulmans). Dans un peu plus d’une vingtaine de pays, des manifestations solidaires s’organisent.
Mais progressivement certains revendiquent "ne pas être Charlie" dénonçant notamment les excès de Charlie Hebdo, de son irrévérence à l’égard des races et des religions, une liberté d’expression à deux vitesses suite à la mise en examen de Dieudonné pour avoir déclaré "Je me sens Charlie Coulibaly".
Et à travers le monde musulmans, des contre-manifestations, hostiles à Charlie Hebdo, voire à la France, s’organisent, des plus pacifiques (appelant au respect du prophète), aux plus haineuses (brûlant le drapeau tricolore).
- En Guadeloupe
Les éléments suivants nous permettront de comprendre que le soutien au journal Charlie Hebdo puisse ici trouver un bémol :
- D’une part, notons que seulement un centaine d’exemplaires du journal est habituellement diffusée dans le département, soit 0.025% de la population, contre 0.083% en métropole.
- D’autre part, si l’Islam est quasi absent de l’île, les autres religions cohabitent particulièrement bien et la foi qui anime la grande majorité des guadeloupéens (au-delà des cultes) fait l’objet d’un grand respect mutuel.
- De plus, n’oublions pas les origines multiraciales de l’île, amérindiennes, africaines, indiennes et européennes, et dans ce beau melting-pot, on peut affirmer que plus de 80% des épidermes ne sont pas blancs.
C’est certainement pourquoi, la une N°498 de l’hebdomadaire, lors de la venue du Pape en France en 1980, titrant "Les français, aussi cons que les nègres" m’a été ressortie dès la première discussion sur le sujet.
Un slogan, repris sur internet, dit : "Je ne suis pas Charlie, je respecte les religions des autres". Et lu sur le net également, en réaction à une émission de Guadeloupe1ère sur le sujet : "A trop vouloir se permettre tout et n'importe quoi, à ne rien respecter, à se moquer de tout et même de ce qu'il ne faut pas, (…) qui on est en France pour juger, critiquer et se moquer des autres comme on le fait trop souvent ? c'est même une 2eme nature chez les français , c'est dire ! Je pense que cette tuerie, ce drame est une occasion que les français se remettent profondément, sérieusement en question (…)."
Il n’en est pas moins vrai que les guadeloupéens sont attachés aux valeurs de la république et que l’île a également connu ses "marches républicaines", un peu partout, dans les principales villes. Avec une mobilisation certes moins importante, proportionnellement, qu’en métropole, mais non moins vibrante. L’Hôtel de ville de Pointe-à-Pitre affichait une banderole "Nou sé Charlie", reprenant en créole le slogan français.
La presse et les caricaturistes guadeloupéens ont fait front pour dénoncer les crimes, du moindre journal publicitaire aux plus respectés. France-Antilles, par exemple, a diffusé des pages entières "Tous Charlie", en blanc sur fond noir.
Enfin, relevons cet échange (qui aurait pu avoir lieu en métropole) entre un élève de primaire et une maîtresse, qui entend l’enfant dire, au sujet des journalistes de Charlie : "ils l'ont bien cherché !". Elle lui demande alors :
"Acceptes tu que je te mette une claque car je trouve ton dessin moche ?
- Ha ça, non maîtresse, t'as pas le droit !
- Alors, penses-tu toujours qu'ils l'ont bien cherché ?
- Non, c'est vrai maîtresse, ils avaient pas le droit de les tuer pour ça."
- Conclusion (qui n’engage que moi...)
Si les guadeloupéens ont tous fermement condamné les actes terroristes, et si la liberté d’expression, comme valeur républicaine, leur est chère, ils gardent en général une certaine distance avec les contenus de Charlie Hebdo et sa propension à stigmatiser races et religions. Et ce malgré un sens de l’humour et de la dérision bien marqué.
Il me semble que la Guadeloupe offre un modèle de laïcité dont la métropole pourrait bien s’inspirer, basé sur le simple respect de l’autre et de sa liberté de culte, le tout sans loi ni circulaires ministérielles.
Remarque : Il serait toutefois intéressant, dans une impossible modélisation, d'observer l'évolution de cette concorde en y intégrant l'islam et ses particularismes.
- Avant-propos : Le cercle Auguste Lacour
Le cercle culturel Auguste Lacour est une association loi 1901, fondée en 2008 pour la promotion de l'histoire de la Guadeloupe et du peuple créole. Il semble que la plupart de ses membres soit des blancs créoles, autrement dit békés, descendant des colons. En tout cas, en visitant son site facebook, on ne lui trouve pas beaucoup d’"amis" de couleur…
- Les faits
Ce cercle est à l’origine de la réalisation d’une stèle en hommage et à la mémoire des premiers colons français débarqués le 29 juin 1635, sur l’actuelle plage de Cluny (Sainte-Rose, Guadeloupe). Cette stèle érigée sur le site de la Pointe Allègre, présentait deux plaques distinctes, sur lesquelles on pouvait lire :
"A la mémoire des français libres et engagés qui ont débarqué sur ce rivage en 1635."
"Sur ce rivage, en juin 1635, Charles de l'Olive et Jean du Plessis débarquèrent, accompagnés de 550 engagés et de 4 religieux. Ces hommes qui eurent le courage de tenter l’aventure prirent possession de l’île au nom du roi de France."
Elle devait être inaugurée le 31 janvier 2015, un carton d’invitation ayant même été envoyé par le cercle :
Les membres du Cercle culturel Auguste Lacour ont le plaisir de vous inviter Samedi 31 Janvier 2015 à 14h30 précises à l’inauguration de la stèle commémorant l’arrivée des premiers Français en Guadeloupe le 29 juin 1635. Le lieu : tout au bout de la « Pointe Allègre », commune de Sainte-Rose. Une pancarte vous indiquera le chemin d’accès, qui se trouve un peu avant la plage de Cluny.
Cette initiative, et surtout les écrits gravés dans la pierre ont immédiatement provoqué la colère des organisations suivantes :
- la Liyannaj kont pwofitasyon ,
- l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe,
- la fondation Frantz Fanon,
- le Comité International des Peuples Noirs
- et le Mouvement International pour les Réparations Guadeloupe, qui dénonçaient "une célébration de la colonisation et de l’esclavage"
Claudine BAJAZET, maire de Sainte-Rose, fit alors un communiqué explicite sur la situation à ses administrés :
Chère Population, L’inauguration d’une stèle commémorant l’arrivée des premiers français en Guadeloupe crée actuellement l’émoi en Guadeloupe.
Pour ma part, en ma qualité d’éducatrice de par ma profession d’enseignante et en ma qualité d’élue, je veux rappeler que si nous avons tous un devoir de mémoire, la prise en compte d’un évènement historique tel que l’arrivée de De l’Olive et du Plessis à Pointe-Allègre Sainte-Rose en le 28 juin 1635 doit se faire de manière globale sans occulter la mémoire de tous les composantes de l’histoire de la Guadeloupe.
Cette manifestation dans le fond (contexte socio-culturel) comme dans la forme (nature du dossier, délais…) ne me permet pas d’envisager sereinement les choses.
Aussi j’ai décidé de donner une suite DEFAVORABLE à la tenue de cette inauguration sur le territoire de la Ville de Sainte-Rose afin d’éviter tout débordement et troubles à l’ordre public.
Je rencontrerai prochainement le Cercle Auguste Lacour et nous discuterons des perspectives de ce projet avec les élus.
Devant un tel tollé, le cercle Auguste Lacour, un peu seul, décida d'annuler l'inauguration du 31 janvier.
Parallèlement, plusieurs des organisations militantes précédemment citées ont demandé l’annulation de l’autorisation administrative, délivrée par le conservatoire du littoral, de l’érection de la stèle. Elle furent déboutées, et le 6 mars 2015, le tribunal administratif de Basse-Terre autorisa l’installation de cette stèle, rendant donc une décision favorable au cercle Auguste Lacour aux motifs que ses inscriptions "ne contiennent en elles-mêmes aucun propos portant une atteinte au respect de valeurs et principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou par la tradition républicaine appelant des mesures de sauvegarde immédiates".
Mais dimanche 29 mars, à l’issue d’une marche sur le site, menés par Elie Domota (porte parole de l'UGTG et du LKP) et accompagnés de plusieurs personnalités dont Joëlle Ursull (chanteuse historique du groupe Zouk Machine et auteur d’une lettre ouverte au président de la République sur le sujet de l’esclavage le 31/01/2015), des militants guadeloupéens ont saccagé la stèle, la déterrant, la renversant et la brûlant pendant plusieurs heures.
- Les motivations des promoteurs du projet
Le cercle culturel Auguste Lacour déclara vouloir simplement rendre hommage aux engagés européens venus bâtir une colonie, sans aucune arrière-pensée politique ou volonté provocatrice. Cette démarche semblait s’inscrire dans le cadre d’un effort de mémoire, comme le firent les membres de l’association Gopio Guadeloupe, le samedi 25 octobre 2014 à Capesterre-Belle-Eau, en posant la première pierre du “Mémorial des engagés indiens de Guadeloupe”, commémorant ainsi les 160 ans de présence indienne sur l’île.
- Les motivations des opposants à la stèle
Pour un certain nombre de guadeloupéens et d’organisations d’afro-descendants, cet hommage est "une provocation" et constitue une insulte à la mémoire des esclaves qui durant deux cents ans furent enchaînés, déportés, exploités pour ne pas dire tués. Jacqueline Jaqueret, présidente du CIPN a déclaré qu’il s’agissait là
d’une apologie de crime contre l’humanité, ils (les békés) ont leurs ancêtres, nous les respectons mais ce sont des personnes qui ont réduit nos ancêtres en esclavage, il n’est pas question qu’on mette une stèle pour leur rendre hommage, il est temps que l’on se fasse respecter dans notre pays.
Elie Domota, porte-parole du LKP a, de son côté, affirmé que cette stèle était
un acte raciste, un profond mépris vis-à-vis des Guadeloupéens d’origine indienne et africaine, Respèkté gwadloupéyen !
Il a d’autre part interpellé le Président français François Hollande dans une lettre ouverte où il reproche au Cercle Culturel Auguste Lacour de faire l’apologie de l’esclavage des Noirs, pourtant un crime contre l’humanité selon la loi Taubira de 2001:
Alors, Monsieur le Président de la République Française,
- Que comptez-vous faire pour rendre justice à ces milliers de descendants d’esclaves insultés et méprisés et mettre fin à la permission de faire l’apologie de l’esclavage offerte par la loi en France ?
- Que comptez-vous faire pour mettre fin à ces provocations et insultes qui font l’apologie de l’esclavage et cela au moment même où des nostalgiques de la société de plantation veulent célébrer les premiers colons blancs génocidaires et esclavagistes arrivés en 1635, en Guadeloupe ?
- Que comptez-vous faire pour mettre fin à ces insultes qui font l’apologie de l’esclavage et de la traite négrière au moment même où chacun parle du vivre ensemble ?
Selon Karfa Sira Diallo, président de Mémoires & Partages (Bordeaux),
Cette décision reflète l’état de la justice française face au crime contre l’humanité que furent la traite des noirs, l’esclavage et la colonisation. La loi Taubira, si elle a permis une qualification législative du crime, a totalement vidée la question de sa dimension pénale et judiciaire. Du reste, en Métropole, et ici à Bordeaux, la question de la signalétique urbaine honorant les esclavagistes reste pendante. Au fond, c’est la République qui est la grande perdante, puisqu’elle renforce ainsi tous les extrémismes destructeurs du sentiment national et fraternel… C’est une manière de réviser l’histoire, en plaçant toutes les mémoires sur le même pied. On méconnaît ainsi les phénomènes de la violence, de l’oppression et de la domination. Toutes les mémoires ne se valent pas…
Nota : Rappelons que l’esclavage des africains déportés vers le nouveau monde concerna au total 12 à 15 millions d’hommes, de femmes et d’enfants (dont 2 millions environ périrent en mer, avant même d’atteindre leur destination finale).
- Le contexte
Au niveau mondial, des voix s’élèvent depuis quelques temps déjà en Afrique, en Amérique et dans la Caraïbe pour revendiquer des réparations liées à la traite négrière, à l’esclavage, au travail forcé, et à la colonisation. C’est à ce travail que s’attèle actuellement la branche guadeloupéenne du Mouvement International pour les Réparations, figurant parmi les détracteurs du projet. Il est certain que les préoccupations des uns ne vont pas de paire avec celles des autres…
Au niveau national, le Président de la République, François Hollande, est attendu le 10 mai 2015, pour une visite du tout nouveau Mémorial ACTe, ou Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la Traite et de l'Esclavage, situé dans la rade de Pointe-à-Pitre, sur le site de Darboussier (il en existe également un en Guyane et en Martinique…). De là à penser que les descendants des colons aient voulu contrecarrer cette commémoration par la leur, il n’y a qu’un pas que certains militants « anti-colonialistes » auront eu tôt fait de franchir…
Au niveau régional, il est à déplorer qu’aux antipodes du bien-vivre ensemble voulu par la population dans sa grande majorité, des individus (et je ronge mon frein pour ne pas les qualifier) intellectuels, historiens, syndicalistes et autres détenteurs auto-proclamés de la vérité, les uns défendant à outrance le "peuple noir exploité" et les autres minimisant le passé d’une "élite blanche entreprenante", se livrent encore des batailles stériles et dangereuses, chargées de haines enracinées dans un passé, tragique évidemment, mais passé. Et pour ne pas sombrer dans la diatribe, voici deux faits d’actualité récents qui illustrent ces propos :
- En 2015, la lapidation médiatique prématurée et "orchestrée" de Nicolas Chaulet, fils de famille béké qui, selon un témoin en réalité peu favorable aux blancs pays et habitué des joutes médiatiques (Harry Nirelep), aurait injurié en français et créole un honnête jeune homme de couleur et aurait tenu des propos racistes d’un autre temps, et sans raison. Il s’avère que la "victime" est également amie de M. Domota. Pas moins de 11 avocats vont tenter de faire condamner l'accusé. M. Chaulet écope finalement (octobre 2015) d'une peine de 3 mois de prison ferme, de 1 500 euros d'amende, et devra suivre un stage de citoyenneté. Tout le procès s'est joué sur les joutes verbales des 14 avocats (3 pour la défense) et sur les déclarations des témoins de l'accusation, car en 10 mn d'altercation pas un seul fichier audio ou video n'a été enregistré.
- Citons également la polémique liée à Jean-François Niort, historien et membre du conseil scientifique du Mémorial Act, qui a entrepris de mettre en avant les bons côtés du Code Noir. Sujet qui n’a pas tardé à faire de lui un "révisionniste" pur et dur…
Bref, aux antipodes d’un grand nombre de guadeloupéens silencieux mais empreints de bonne volonté et en quête de compromis, des élites auto-proclamées attisent toujours et encore le feu des rancœurs dans l’actualité de l’île.
- Mon humble avis sur la question
1 - Il est regrettable que les membres du Cercle Auguste Lacour se soient appropriés cet événement sans concertation avec les organisations d’afro-descendants ; car, d’aussi bonne foi fussent-ils (mettons cela à leur crédit), ils est évident, aux vues des conséquences de ce débarquement, que le sujet ne leur appartient pas exclusivement.
2 - Il est tout aussi regrettable que les "anti-stèle" se soient comportés ainsi :
- d’une part, en allant outre une décision de justice et faisant ainsi preuve d’un comportement dont la jeunesse guadeloupéenne n’a pas besoin ;
- et d’autre part, en ne cherchant pas une réponse plus réfléchie à ce qu’il considèrent être une provocation (je pense à une "contre-stèle" par exemple, exprimant le tragique revers de cet événement).
3 - Et quitte à faire dans la vision clanique de cette histoire (avec un petit « h » cette fois-ci), qui s’émeut des premières victimes que furent les amérindiens, et dont il ne reste plus personne (ou presque) pour pleurer le massacre et porter la mémoire ?
La Guadeloupe est une nouvelle fois – et malgré elle – aux prises avec son histoire, et l’on ne peut que déplorer le manque de concertation dans le traitement de cet événement, qui mérite que l'on s'y attarde. Car je garde en mémoire les propos très simples et pourtant empreints de bon sens d’une guide qui, lors de notre première visite du fort Delgrès (tandis que certains s'étonnaient d'y voir trôner la tombe de Richepanse…), avait exprimé l’impérieux besoin des guadeloupéens de s’approprier leur Histoire, en-dehors de toute considération politique et raciale. Une vision Moderne des choses en somme…
Charles de l’Olive fut certainement le plus brutal et le plus sanguinaire des arrivants de 1635. On lui doit notamment l’extermination des amérindiens se trouvant sur "son" nouveau territoire... A Paris, dans le 18ème arrondissement, quartier de la Chappelle, une rue de l’Olive honorait son nom jusqu’en 2011. Elle fut depuis rebaptisée "rue de l’olive" (comme le fruit) gommant ainsi tout allusion à l'individu.
De ces hommes qui débarquèrent en 1635, nombreux furent ceux qui moururent de faim et de maladies. Et les quelques uns qui restaient n’avaient pas de femmes pour leur donner une descendance… On peut se demander s'ils sont encore les aïeux de quelqu’un !
Les jours fériés en Guadeloupe
C'est encore une fois à Napoléon que l'on doit une première réglementation en matière de jours fériés. Au fil du temps, la liste a évolué pour aboutir au calendrier que l'on connaît actuellement. En 2015, la France compte donc 11 jours fériés (fêtes religieuses et civiles) définies par l’article L. 3133-1 du code du travail, dont finalement seulement 8.7 sont chômés puisque, en moyenne, 2.3 tombent sur un samedi ou un dimanche...
Fêtes civiles :
· 1er janvier – Nouvel an (depuis le 23/03/1810)
· 1er mai – Fête du Travail (depuis le 23/04/1919) : seul jour obligatoirement férié et payé (ceci dit, dans la pratique, les autres le sont également).
· 8 mai – Fête de la Victoire sur l'Allemagne nazie en 1945 (depuis le 20/03/1953, férié supprimé par De Gaulle et rétablit par Mitterand).
· 14 juillet – Fête nationale (depuis le 6/07/1880).
· 11 novembre – Armistice mettant fin à la première Guerre Mondiale (1918), commémoration de tous les morts tombés pour la France.
Fêtes à caractère religieux :
· Lundi de Pâques, 1 jour après Pâques – fête non liturgique (c'est le dimanche) mais jour de repos (depuis le 8/03/1886).
· Jeudi de l'Ascension, montée de Jésus au cieux (depuis le 19 avril 1802).
· Fête de l'Assomption, célébrant Marie, mère de Jésus, mais institué jour chômé par Napoléon pour fêter son anniversaire (depuis le 19 avril 1802).
· Lundi de Pentecôte, 50 jours après Pâques – fête non liturgique (c'est le dimanche) mais jour de repos (depuis le 8/03/1886).
· 1er novembre – Toussaint : Fête de tous les saints de l'Eglise catholique (depuis le 19 avril 1802).
· 25 décembre – Noël : naissance de Jésus Christ (depuis le 19 avril 1802).
Mais l'Alsace, la Moselle et les DOM-TOM font exception et s'octroient des jours fériés et/ou chômés supplémentaires, en fonction de l'histoire qui leur est propre. Ainsi, en Guadeloupe, 9 jours supplémentaires sont fériés :
· Lundi Gras, 2 jours avant le Mercredi des cendres.
· Mardi Gras, 1 jour avant le Mercredi des cendres.
· Mercredi des cendres, 46 jours avant Pâques.
· Mi-Carême, à mi-chemin entre le mercredi des cendres et Pâques.
· Vendredi Saint, 2 jours avant le dimanche de Pâques.
· Samedi Gloria, 1 jour avant le dimanche de Pâques.
· 27 mai - abolition de l'esclavage en Guadeloupe (22 mai en Martinique, 10 juin en Guyane, 20 décembre à la Réunion, etc.)
· 21 juillet - Fête Victor Schœlcher (Commémoration de sa naissance - en fait le 22 juillet 1804), député qui fut à l'origine de l'abolition de l'esclavage (idem Martinique).
· 2 novembre – Jour des Défunts.
Mais attention ! Dans le cas de ces 9 jours fériés supplémentaires, "férié" ne signifie pas forcément "chômé"… Et "chômé" ne signifie pas forcément "payé". Et ce qui est valable pour certaines branches professionnelles et administrations (férié = chômé = payé) ne l'est pas pour d'autres où ces jours sont soit travaillés, soit posés en jour de congés payés (individuellement ou imposés par l'employeur)… Pas simple, hein ?
Vers une adaptation ultra-marine des jours fériés ?
L'amendement au projet de loi "Macron" voté le 14 février 2015 précise que dans les territoires d'outre-mer, certains jours fériés pourraient être remplacés par d'autres. Seuls les 7 jours fériés "non républicains" sont concernés, fêtes chrétiennes ou non : le 1er janvier, le lundi de Pâques, le jeudi de l'Ascension, le lundi de Pentecôte, l'Assomption, la Toussaint et le jour de Noël. Il reviendrait au préfet, en concertation avec les partenaires sociaux, de choisir si éventuellement il souhaite transformer certains jours fériés.
Ainsi, la Diwali (fête hindoue de la Lumière), le Pongal (fête hindoue des récoltes) ou l'Aïd al-Fitr (qui marque la fin du Ramadan) pourraient respectivement remplacer l'une des sept fêtes non républicaines respectivement à la Réunion (forte communauté indienne) ou à Mayotte (majoritairement musulmane). Evidemment, l'idée fait tousser dans les sacristies…
Et en Guadeloupe, où la communauté indienne est relativement bien représentée (à contrario de la population musulmane : moins de 1% des Guadeloupéens) ? Certains prêtres hindous en rêvent en silence tandis que d'autres arguent que nombres de Guadeloupéens d'origine indienne sont aujourd'hui catholiques. Et que dire des patrons qui s'étranglent à l'idée de jongler entre les calendriers des uns et des autres ! Bref, pour l'instant, le Président Hollande n'y est pas favorable… Dieu soit loué !
Les femmes victimes de violences en Guadeloupe
Une récente discussion entre deux jeunes collègues, l'un estimant qu'une "petite correction administrée à sa femme de temps en temps permettait de remettre les choses à leur place", et l'information diffusée dernièrement sur Guadeloupe 1ère relative au triste classement de la Guadeloupe parmi les départements les plus concernés par les violences faites aux femmes m'amènent aujourd'hui à traiter de ce grave sujet.
25 novembre : Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Laissons tout d'abord à Jacques Brillant, préfet de Guadeloupe, le soin de rappeler l'origine de cette journée de lutte :
Le 25 novembre 1960, les trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines, furent brutalement assassinées sur les ordres du dictateur et chef de l’État, Rafael Trujillo. Elles symbolisaient à la fois la résistance d’un peuple face à cette dictature et la résistance des femmes à l’oppression dont elles étaient victimes. A l’issue de la première rencontre féministe pour l’Amérique latine et les Caraïbes qui eu lieu à Bogota, en Colombie, en 1981, il fut décidé de commémorer ces assassinats en faisant du 25 novembre la "Journée de l’élimination de la violence à l’égard des femmes", célébrée depuis dans de nombreux pays d’Amérique Latine. En 1999, en rappelant sa définition de la violence à l’égard des femmes, comme tout acte portant un préjudice physique, sexuel ou psychologique, dans la sphère privée comme dans la sphère publique, l’assemblée générale des Nations Unies (…) a alors décidé de proclamer le 25 novembre "Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes".
Ce rappel du préfet de Guadeloupe fait écho à une situation départementale particulièrement inquiétante car, non seulement trop de femmes continuent à y être frappées, violées, blessées et même tuées, mais de plus, d'années en années, aucune amélioration n'est à noter. A tel point que la lutte contre les violences faites aux femmes vient d'y être érigée au rang des grandes priorités du moment.
1. Les chiffres, dans l'Hexagone et en Guadeloupe
- En 2010 et 2011, les chiffres de l'INSEE montraient qu'en moyenne annuelle, 600 000 femmes, en France, avaient subi des violences physiques ou sexuelles et que parmi elles, 220 000 avaient été victimes de violences conjugales, mais également que moins d'une sur trois s'était déplacée à la police ou à la gendarmerie.
- En 2012, 148 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dans l'Hexagone. Et en Guadeloupe, 6 femmes ont ainsi perdu la vie, révélait également Karen Bourgeois sur DOMactu.com.
- En 2014, les services de police et de gendarmerie guadeloupéens ont enregistré 2 200 faits de violences sur des femmes, dont 1 020 dans la sphère conjugale (près de 50% !).
- De janvier à octobre 2015, ils recensaient déjà 2 100 plaintes, dont 900 également dans la sphère conjugale (soit 5 à 6 faits par jour). Les associations œuvrant dans cette lutte ont quant à elles enregistré 3 000 appels téléphoniques et accueils physiques. Et Xavier Bonhomme, procureur de la République de Pointe-à-Pitre, de rappeler que les violences faites aux femmes sont déjà responsables de 3 homicides cette année (27/11/2015, France-Antilles).
Malheureusement, trop souvent, les femmes n'osent pas parler à leurs proches, ou s'adresser aux autorités, par peur des représailles. Et ces chiffres ne sont évidemment que la partie émergée de l'iceberg, même si le travail conjoint des autorités et des associations, via la diffusion de messages et les relais de proximité, tendent à faire reculer ce tabou.
2. Les faits
Les violences envers les femmes s’exercent dans la sphère familiale, au sein du couple, mais aussi dans l’espace public ou dans l’univers professionnel. Elles peuvent prendre différentes formes : agressions sexuelles, viols, violences psychologiques, mutilations sexuelles, violences physiques, mariages forcés... Elles touchent tous les milieux : un préjugé veut que les classes aisées échappent plus facilement à cette violence, mais il n'en est rien (l'humiliation d'une femme fortunée ou cultivée donne même à son auteur un sentiment décuplé de puissance) ; et elle touche tous tous les âges également. Les violences commencent dès la première insulte, dès la première gifle !
Les statistiques démontrent qu'en Guadeloupe près de 50% de cette violence s'exprime dans le cadre conjugal, c'est à dire lorsque l'un des conjoints ou ex-conjoint exerce un contrôle et/ou une violence sur le plan psychologique, émotionnel, physique, sexuel ou économique sur l'autre. Elle peut se manifester de différentes manières :
- interdire à sa conjointe de voir ou parler à des amis, sa famille, d'autres hommes,
- critiquer ce que fait ou dit sa conjointe ou son physique,
- imposer à sa conjointe sa façon d'agir, de se comporter,
- bloquer l'accès aux ressources financières du ménage,
- être insultant, violent envers sa conjointe,
- violer sa conjointe.
"Seulement" 2 à 3% des violences conjugales s'exercent à l'encontre des hommes.
Les origines de cette violence conjugale résident à la fois dans l'individu, la famille, la communauté et la société. C'est la conjugaison de différents facteurs de risque qui explique la violence et non une seule et unique cause. L'alcool, les drogues, la dépression, etc. constituent des facteurs aggravant.
C'est donc à la sensibilisation de tout un chacun, et en particuliers des jeunes (les adultes de demain...), qu'œuvrent des actions comme celles menées lors du 25 novembre. Elles sont également l'occasion pour les autorités de faire un bilan de la situation et de mettre en place de nouvelles mesures.
3. Les mesures
Ainsi, le 25 novembre 2015, en plus des dispositifs nationaux d'assistance aux femmes violentées (comme le numéro d'appel 3919), lors d'une conférence de presse, le préfet Brillant a présenté plusieurs initiatives propres à la Guadeloupe. En voici quelques unes :
- L'éviction du conjoint violent du domicile familial. Car jusqu'à présent, les femmes subissaient une sorte de double peine : les actes de violences et la nécessité de quitter le foyer si elles portaient plainte contre leur conjoint, pour en être protégées.
- Le dispositif "téléphone femmes en grand danger", mis à disposition gratuitement sur l'instruction du procureur, permet de déclencher rapidement l'intervention de la police ou de la gendarmerie dans des cas de violences conjugales.
- Le dispositif innovant mis en place par l’Unité Médico-Judiciaire du CHU de Pointe-à-Pitre qui prend en charge les victimes de l’accueil au CHU jusqu’à sa réinsertion dans le tissu économique et social en lien avec les services sociaux, judiciaires, de police, de gendarmerie et d’hébergement.
- La diffusion d'une fiche informative sur la possible prise en charge des victimes.
- Une formation adaptée des gendarmes, à partir du début 2016, pour mieux accueillir, comprendre et conseiller les victimes de ces violences.
- La diffusion d'un guide à destination des victimes baptisé "Infos Femmes" qui regroupe les adresses utiles et les démarches à suivre en cas de violences subies : le parcours judiciaire, les droits en matière d'hébergement, de logement, la prise en charge médicale ou le suivi psychologique.
Ces deux dernières mesures ont été mises en place grâce au savoir-faire et au savoir-être des associations impliquées dans cette lutte, et sans lesquelles les dédales et froids méandres de l'administration rebuteraient bien plus de femmes encore à manifester leur condition de victime.
4. Les associations
Présentes sur le terrain, à proximité des victimes, elles sont en effet bien souvent la première main tendue aux femmes en quête d'aide et de soutien. Elles constituent également un véritable lien entre les victimes, la police et la gendarmerie, les travailleurs sociaux, les médecins, magistrats et autres services de l'état. Elles informent enfin, sensibilisent et font de la prévention auprès du grand public, des établissements scolaires et même des entreprises.
Des conventions de partenariat passées entre ces structures et les différents services de l'Etat impliqués dans cette lutte permettent d'organiser et de rendre cohérent le cheminement des victimes, depuis la main courante jusqu'à la complète et urgente prise en charge. En retour, l'Etat subventionne ces associations afin de pourvoir partiellement à l'équipement et à la formation du personnel.
Citons parmi ces associations présentes en Guadeloupe (liste non exhaustive)…
· Le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF), investi dans la lutte contre les violences sexistes, accueille, informe et accompagne les victimes,
· la Fédération féminine d’Organisation et de Revalorisation Culturelle Économique et Sociale (FORCES), qui dispose de centres d'accueil de jour dédiés aux victimes,
· l'association des Elus Contre les Violences Faites aux Femmes (ECVF),
· le collectif Manifeste des 308,
· l’Association d’Aide aux Victimes et d’Informations Juridiques (AVIJ),
· ...
Notons que des entreprises ou des "people" peuvent également s'investir et offrir leur contribution. C'est le cas de la chanteuse de Dancehall, Lady Sweety, qui en 2014 offrit la chanson "Parle-moi" au collectif du Manifeste des 308 (après avoir prêté sa voix pour la prévention contre le SIDA en duo avec Jacky Brown : "N'y pense même pas !"), l'objectif étant de booster les téléchargements sur Itunes pour récolter des fonds, destinés à la création d'une Maison de la Femme en Guadeloupe.
En conclusion
Drame intemporel et mondial (et, à cette échelle, la France ne figure pas parmi les pays les plus "civilisés"), la violence subie par de trop nombreuses femmes s'explique avant tout par la supériorité physique de l'homme sur la femme (il n'y a pas si longtemps, dans l'Histoire de l'Humanité, bien des hommes avaient encore droit de vie ou de mort sur leurs femmes).
De nos jours, la Guadeloupe n'échappe malheureusement pas aux statistiques françaises (au contraire !), et les autorités, conscientes de la situation, mobilisent les moyens à leur portée pour minimiser, à défaut d’éradiquer, ce fléau, quelque soit le type de violence exercée.
N'oublions pas les enfants, victimes bien souvent trop exposées, impuissantes et durablement marquées par les coups et humiliations subis par leur mère, et par l'image irrationnel d'un père brutal.
Il est en réalité bien difficile de "conclure" un tel sujet, c'est pourquoi je laisse à Jean-Paul Sartre (in Situations II) ce soin, à l'adresse toute particulière de ces hommes qui n'en sont finalement pas vraiment...
La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec.