Les FOCUS traitent de sujets particuliers liés à l'Histoire ancienne ou actuelle de la Guadeloupe.
- Arawaks et Caraïbes : entre fadaises et archéologie, mythes et réalité
- Armoiries de la Guadeloupe : une analyse de la symbolique
- Carnaval : des origines antiques aux sound'systems guadeloupéens
- Hugo : l'ouragan qui dévasta la Guadeloupe
- Identité guadeloupéenne : histoire d'une revendication
- Mai 1967 : chronique d'un massacre
Arawaks et Caraïbes : entre fadaises et archéologie, mythes et réalité
La littérature historiques des Antilles a réservé et réserve encore aujourd’hui une place conséquente à deux « peuples » amérindiens : les Arawaks et les Caraïbes. Hélas ! Ceux-ci ne connaissant pas l’écritures, les historiens durent se fiers aux récits et chroniques des premiers colons pour étayer leurs connaissances sur le sujet. Mais les descriptions parfois fantaisistes, les intérêts politiques et économiques des puissance coloniales promptes à modifier la vérité historique, et enfin les confusions sémantiques des gens même bien intentionnés ont eu raison d’une définition claire de l’identité de ces « peuples ». Aussi les termes de Caraïbe et d’Arawak sont-ils abandonnés par les archéologues car ils ne permettent pas de bien décrire la réalité des peuples/cultures qu’ils sont sensés définir.
En effet, une culture archéologique se construit sur la base d'artefacts (formes de poteries, outils de silex, art mobilier, architecture, pratiques funéraires, etc.), appartenant à une période et à une aire géographique définie, supposé provenir d'un même peuplement et permettant de reconstituer la culture ou la civilisation disparue en question. Les archéologues parlent, par exemple, de la culture saladoïde (culture pré-colombienne du Venezuela et de la région Caraïbe s'étendant de -100 à 545 après JC) qui tire son nom du site archéologique vénézuélien de Saladero. Par nature, une culture archéologique est certes basée sur des faits mais en constante redéfinition en fonction de l'état des découvertes effectuées.
Tentons néanmoins de faire connaissance avec les peuples qui vivaient dans les Antilles précolombiennes et de trier le vrai du faux en s’appuyant sur une vision pluridisciplinaire associant historiens, archéologues, ethnologues et linguistes.
1. Textes et récits
Lors de son premier voyage, Christophe Colomb retranscrit ce que lui racontaient les Amérindiens des Grandes Antilles. " Il y avait des gens qui n’avaient qu’un œil sur le front et d’autres qui étaient appelés cannibales qui leur inspiraient une grande frayeur et quand ils apprirent que je me dirigeais vers cet endroit ils restèrent fortement frappés de stupeur car ces gens fortement armés les dévoraient ". La figure du Caraïbe se dessine très clairement. Cannibales et Caraïbes sont synonymes. Ce sont des gens qui font peur.
Christophe Colomb chargea Fray Ramón Pane, hiéronymite, d'une enquête sur les Tainos et leur religion, pour mieux les connaître et les combattre. Bartolomé de Las Casas, qui connaissait Pane, le qualifia de "personne simple d'esprit", parlant mal le castillan et ne comprenant quasiment rien à la langue des indigènes. Las Casas ne cacha pas qu'il considérait les rapports de Pane comme "des choses confuses et de peu de substance". Pane s'était contenté de transcrire ce qu'il saisissait (mal) des légendes sur les croyances et l'idolâtrie des "Indiens", sur leur origine mythique, sur les Cimi, ces représentations divines si propres aux insulaires. En conclusion de son rapport, Pane demandait que les populations de l'île d'Ayti soient soumises, évangélisées par les Espagnols et que toute résistance soit brisée par "la force et le châtiment". On sait qu'il fut écouté sur ce dernier point, bien au-delà de ses espérances...
Le Dr Alvarez Chanca, qui accompagne Christophe Colomb en 1493, décrit le premier les Caraïbes de la Guadeloupe et les indigènes des îles orientales. Ses descriptions de crânes humains - ceux des ancêtres - conservés par les habitants qu'il observa, ainsi que des têtes - celles de manati (lamantins) vraisemblablement - qu'il vit en cours de cuisson pour l'alimentation, déclenchèrent le processus mythique de la thèse du cannibalisme des Caraïbes.
Au service du roi de France, le capitaine florentin Giovanni da Verrazzano a fait escale en juillet 1528 en Guadeloupe. À peine aurait-il débarqué avec quelques marins qu'aurait surgi un groupe d'indigènes qui les auraient criblés de flèches et se seraient saisi d'eux. Les équipages des trois vaisseaux auraient assisté horrifiés au festin des cannibales qui dévorèrent leurs amis. C’est du moins le récit qu’en fit son frère cadet qui l’accompagnait.
Cependant un chroniqueur comme le Révérend Père Breton se montre méfiant (il parle de "songes et de mensonges") sur la validité de la tradition orale amérindienne pour raconter de façon fiable leur histoire. Breton comprend que les Amérindiens donnent un récit mythologique de leur histoire. C’est donc sur des aspects non scientifiques que s’est basée la détermination ethnique des habitants de la Caraïbe.
2. Les hésitations de la luinguistique
Au moment de la conquête, on parle plusieurs langues dans les îles et sur le continent. Dans le domaine insulaire, 4 grandes familles linguistiques : warao, arawak, karib insulaire et karib. Les parlers warao étaient ceux des indigènes de Trinidad et des habitants de l'embouchure de l'Orénoque. Plusieurs langues appartenaient à la grande famille arawak, comme le taino (Bahamas, Ayti, Cuba), le caquetio (Curaçao et Aruba), le ciguayo (Ayti), le macorixe (Cuba). Le karib insulaire est une langue arawak. Ainsi, trois langues anciennes des îles sont encore parlées sur le continent : arawak, karib et karib insulaire ou igneri, parlé encore à Belize, dans le voisinage du golfe du Honduras et dans les communautés garifunas. Dans les îles Dominique et Saint-Vincent, le créole remplace progressivement la langue vernaculaire des Caraïbes au 19ème siècle.
D’autre part, se pose le problème du langage des femmes et du langage des hommes qui était différent chez les Amérindiens des Petites Antilles. Les femmes parlent un langage entièrement arawak et les hommes parlent un langage dont la structure grammaticale est arawak mais dont le lexique comporte de nombreux mots caraïbes. Cela ne signifie pas qu’une population caraïbe aurait pris des femmes arawaks mais que les hommes avaient des relations (guerre, commerce) avec les populations de la Terre Ferme et parlaient une sorte de pidgin, une langue de commerce qui permet de se comprendre entre les populations des Antilles et celles du continent.
Donc déjà au niveau de la langue, la rupture entre caraïbes et Arawaks n’est pas claire du tout.
3. Sémantique archéologique
Au niveau de l’archéologie on observe certains problèmes. Pour les Espagnols, le nord des Petites Antilles est caraïbe. Cependant au nord de la Guadeloupe, on n’a pas trouvé d’objets se rapportant aux populations des Petites Antilles mais des objets de la culture taïno donc de la culture des Grandes Antilles. Le nord des Petites Antilles était dans une sphère d’influence culturelle de ces populations taïnos.
4. Une histoire guidée par l'économie et la politique des conquistadors
Les historiens ont fourni l’essentiel de la remise en question sur la caractérisation de la population des Petites Antilles. Ils se sont aperçus que la différenciation ethnique repose sur une définition politique et économique de ces populations.
* Politiquement et militairement, le Caraïbe, c’est avant tout celui qui a résisté plus le plus fortement aux Espagnols dans les Antilles. Chez les Taïnos des Grandes Antilles, si l’on prend le pouvoir sur le chef, le reste de la société suit. C’est impossible dans les Petites Antilles où les populations forment des sociétés de type égalitaire. Si un chef de guerre est éliminé, un autre chef de guerre est désigné par les siens. Les Européens de cette époque n’ont pas les éléments intellectuels pour comprendre ces sociétés égalitaires.
* Il y a une définition économique de l’amérindien caraïbe : c’est avant tout l’amérindien que l’on peut réduire en esclavage. Cela permet de comprendre pourquoi les Espagnols désignent telle île comme arawak ou comme caraïbe. En 1503 la reine Isabelle autorise les colons espagnols à réduire en esclavage exclusivement les Caraïbes qui sont cannibales donc à peine humains. Ce fameux décret eut une profonde répercussion sur l'évolution du mythe. Toutes les populations qui résistèrent à la conquête espagnole entrèrent dans la catégorie des Caraïbes, les autres devenant Arawaks, ces "mangeurs de farine" dont on glorifie le pacifisme.
La classification "île caraïbe", "île non caraïbe" change en fonction des visées économiques des Espagnols. Ainsi la Guadeloupe, promise comme colonie en 1496 à l’ambassadeur de Venise, et Sainte-Croix, d’abord colonie privée donnée à Juan Ponce de Leon ne sont pas considérées comme îles caraïbes alors qu’elles sont en plein dans la zone dite caraïbe. Quand ces deux projets sont abandonnés, la classification change et les deux îles sont à nouveau peuplées de Caraïbes ! Ce phénomène fut observé ailleurs dans les Antilles. Trinidad et Margarita ne sont plus classées caraïbes lorsqu’on y découvrit respectivement de l’or et des perles. Les Espagnols avaient besoin de garder la main d’œuvre indienne sur place.
Il y avait des liens très forts entre les Grandes et Petites Antilles et dans la zone entre la Guadeloupe et Porto Rico on observe un passage progressif des populations à sociétés égalitaires aux populations hiérarchisées. Au moment de l’invasion de Puerto Rico, les Espagnols se trouvent confrontés à une très forte résistance et on observe une migration des Indiens taïnos vers le nord des Petites Antilles. Il serait curieux que les Taïnos se soient réfugiés chez des Caraïbes, censés être des ennemis effrayants !
3. Deux organisations sociales distinctes
Il y a cependant de réelles différences entre les Grandes et les Petites Antilles en particulier en ce qui concerne le type d’organisation sociale.
- Les îles taïnos vivent sous le modèle du caciquat qui relève du système de la chefferie. Sociétés hiérarchisées avec régions spécialisées (exploitation du sel, fabrication d’objets d’art). L’unité économique est la région, pas le village. Les échanges sont dirigés par une aristocratie : les Taïnos.
- A l’inverse, les Petites Antilles connaissent des sociétés égalitaires et l’unité économique est le village. C’est au niveau du village qu’on fabrique le carbet, la céramique, le bateau, les outils en pierre. Cela n’empêche pas des échanges de perles ou des échanges matrimoniaux entre les villages. Dans le village tous les gens auront un statut égalitaire : il y a des chefs de guerre mais après la bataille ils ne sont pas dans une position dominante dans le village. Même chose pour celui qui dirige des opérations de pêche.
Deux problèmes : les Européens n’ont pas compris les sociétés égalitaires et les Espagnols ne se sont pas installés dans les Petites Antilles. Quand les colons s’installent dans les Petites Antilles, les populations avaient déjà été modifiées par près de 150 ans de contact avec les populations européennes comme le montre le meilleur chroniqueur pour les Petites Antilles, l’Anonyme de Carpentras qui a vécu dans les Petites Antilles avant l’installation des puissances coloniales.
Conclusion : Les changements de terminologie ne sont pas une lubie. Garder les termes de Caraïbe et d’Arawak rappelle les récits des chroniqueurs qui, eux, sont problématiques.
Malgré tout, en faisant abstraction des inepties, et en se détachant de la vision réductrice et binaire des seuls Arawaks et Karibs (ou Caraïbes) des Antilles, les études réalisées à l’échelle du territoire amérindien nous révèlent nombre d’informations sur les modes de vie et l’impressionnant essaimage de ces deux "grands groupes culturels" au fil des siècles (n’oublions pas qu’il est ici question de presque deux millénaires d’histoire !)…
LES ARAWAKS
Les anthropologues distinguent quatre grands groupes culturels en Amérique moyenne et en Amérique du Sud : les Tupi-Guarani, les Arawaks, les Karibs et les Gê. La grande famille des Arawaks est connue sous des noms divers : Aruak, Aroaqui, Arauaca, Aroaco, Araguaco, Arauac, Araguac, Nu-Aruak, Arowak, appelés aussi Maipure. Tous ces noms semblent provenir d'un groupe du Venezuela que les Espagnols appelaient Araguacos et qui se nommaient eux-mêmes Lukkunu. Les Arawaks occupent une zone d'habitat très étendue, qui se déploie depuis la Floride, les îles, jusqu'au Venezuela et au nord du Brésil.
Ils s'y seraient installés après un premier grand mouvement migratoire parti du berceau vénézuélien d'où auraient peu à peu essaimé tous les Arawaks. (Selon certains anthropologues, ils descendraient non pas d'un noyau originel situé au Venezuela, mais d'Amazonie péruvienne, près du Marañon. En effet, on rencontre dans la forêt amazonienne des groupes méridionaux comme les Matsiguenga, les Campa-ashaninca, les Piro et les Mashco, qui constituent un groupe proto-arawak qui aurait été séparé du groupement principal et aurait donné naissance aux parlers arawaks du littoral caraïbe et de l'Amazonie. Seule l'archéologie pourrait aider à trancher cette origine controversée et à élucider le problème des migrations.) On pense qu'ils atteignirent vers l'ouest les côtes du Pacifique et qu'ils essaimèrent au nord, vers les territoires isthmiques et insulaires.
Les Arawaks possèdent une grande diversité de types physiques. Ils ont en moyenne 1,60 m mais certains groupes de l'Altiplano bolivien, comme les Moxo et les Bauré, peuvent atteindre 1,70 m. Les conquérants ont très tôt associé les Arawaks à des activités agricoles et empruntèrent à leur langue des noms de plantes, d'ustensiles, d'objets de transport (maïs, tabac, piment, canoë, hamac, etc.). Ils cultivaient le manioc et fabriquaient une belle céramique. Leur habitation a la forme caractéristique d'un cône tronqué, une grande case commune de forme conique couverte de feuilles de palmier autour de laquelle sont disposées des huttes en cercle. Les Arawaks pratiquent la pêche, la chasse à l'arc. Ils possèdent des instruments de musique : l'ocarina ou tsinhali des Paressi, une grande trompette (hezô-hezô), une flûte, ualalocê, et le tiriaman pour accompagner les danses.
On a parlé d'une mythologie lunaire des Arawaks, sur le plan spirituel, qui renvoie aux jumeaux de la tradition du Popol-Vuh, Hunahpu et Ixbalamqué. Ces jumeaux sont des divinités mythiques qui se situent au fondement de la genèse de la population Maya-Quiché. Les anthropologues soulignent par ailleurs la base matrilinéaire de la société arawak.
L'île d'Ayti comptait (selon les travaux de l'école de Berkeley) une population estimée à 8 millions d'habitants - des Arawaks (Tainos) - à l'arrivée des Européens. Une catégorie de nobles, les nitaynos, dominait une classe de serviteurs, les naborias, employés aux travaux agricoles essentiellement. Tous les observateurs signalèrent le grand nombre des villages en Ayti, l'étendue des terres mises en valeur, le perfectionnement des techniques utilisées et la qualité des produits récoltés (manioc, arachide, maïs, patate douce, haricot, piment et fruits). Pétroglyphes (motifs gravées sur des roches), terrains de jeu de balle, pierres à trois pointes, lourds colliers de pierre sont des éléments archéologiques communs à la Terre-Ferme et aux sites insulaires. Malheureusement, dans tous les pays des Caraïbes un pillage systématique des sites archéologiques alimente un marché privé d'art "précolombien" particulièrement prospère.
Les vestiges retrouvés prouvent l'existence de villages constitués de plusieurs dizaines de familles. Ils s'installent en bord de mer, à proximité des rivières, sur de faibles hauteurs. Sédentaires, ils sont agriculteurs et potiers et apportent la culture du manioc et la céramique.
LES KARIBS
La grande famille des Karibs a elle aussi des noms divers : Caribe, Cariba, Caribi, Caryba, Cariva, Caraibe. L'origine de leur nom dériverait de Calina ou de Caripuna, selon Christophe Colomb. Or, Kalina (Karina, Kallinago) signifie pour les Karibs « brave » ou « compagnon ». De Karib, on sait que naquit le mot « cannibale » que les Espagnols appliquèrent à ces indigènes en raison, disaient-ils, de leurs tendances anthropophagiques. Leur territoire s'étend sur un vaste espace, limité au nord par les îles, au sud par le rio Xingu à hauteur du 13e parallèle de latitude sud. On distingue les groupements du sud de l'Amazonie (Apalai, Pianacoto, Pauxi, Uaieué, Voiavai, Boanari, Iauaperi et Crixana), les groupements du Venezuela et des Guyanes. Les Karibs insulaires reçurent le nom de Callinago (Calliponau, Caripura). Ils appartiennent au groupe Galibi du continent. Sur la Terre-Ferme de la côte vénézuélienne, les Cumanagoto ont subi l'influence des missions catholiques et ont vu fondre leur population. Ils regroupaient les Tamanaco, les Chaima, les Chacopata, les Piritué, les Palenque, les Pariagoto, les Cuneguava, les Guaiqueri. L'embouchure de l'Orénoque était habitée par les Tamanaque, qui ont disparu. On y trouve encore les Cariniaco, les Taparito, les Panare, les Mapoio et les Iabarana. Entre le rio Ventuari, le rio Branco et le rio Negro au Brésil, s'étend la région des Mankitari. Dans les Guyanes se côtoient d'importants groupements qui vont jusqu'au Brésil : les Acauoio, les Arecuna, les Camarocoto, les Purucoto, les Guaiamara et les Sapara. C'est sur le littoral des Guyanes que subsiste une trace des Karibs stricto sensu (Caribe, Caribi, Galibi, Calina) qui vivent dans une région qui s'étend de l'Oyapock à l'Orénoque. De là ils essaimèrent vers le nord jusqu'aux îles et vers l'intérieur en remontant le cours des rivières. On a identifié dans la région du rio Repunuri, un affluent du rio Negro, des groupes connus sous le nom de Cariba, Caribi, Caribana, Carabana et Cariana. Dans la région de l'Essequibo vivent les Partamona, les Trio occupaient la vallée du Tapanahoni au 18ème siècle. En Guyane française, les Oyana, ou Roucouyenne, voisinent avec les Aracuiana du Brésil.
Les Karibs pratiquaient le rite de perforation de la langue, comme les Mayas. Ce rite était exécuté par le chaman, lors de l'initiation des jeunes. Leur légende évoque des arbres mythiques animés par un esprit divin, Hyruca ou Hunrakan en Guyane. Les Zemis ou Cimi des insulaires symbolisaient des dieux et renvoient indubitablement aux Kimi des Mayas, associés par eux à la mort.
Les Amérindiens des Petites Antilles ne se sont jamais nommés eux-mêmes Caraïbes mais Kalinagos. Le mot Caraïbe est un terme des Indiens des Grandes Antilles qui avait sans doute une valeur mythologique.
L’anthropophagie était pratiquée par tous les Amérindiens des Antilles (y compris les Taïnos !) : c’était une anthropophagie rituelle donc elle n’était pratiquée que dans certaines circonstances. La chair humaine n’était en rien une nourriture ! L’anthropophagie avait, entre autre fonction, celle de s’approprier la force de l’ennemi.
Conclusion : On perçoit ici la grande diversité des peuples aux origines pourtant communes qui se sont succédés, côtoyés et assimilés au fil des siècles sur le territoire amérindien. L’idée principale qui doit être retenue de ce panorama des cultures ayant parcouru les Petites Antilles est une idée de continuité et non de rupture comme on a pu le penser à certains moments. On doit de ce fait tordre le cou une bonne fois pour toute à l'idée reçue des "gentils" Arawaks chassés et mangés par les "méchants" Caraïbes.
DE NOS JOURS...
Actuellement, au nord-est de l'île, ils disposent d'un petit territoire de 15 km², donné par la Couronne britannique en 1903 (Carib Reserve). Il ne subsiste plus qu'environ 3 000 Caraïbes. En juillet 2003, ils ont fêté la journée du centenaire de leur territoire. Ils seraient, aux Antilles, les derniers représentants du peuple "originel" insulaire, cependant des mariages sont célébrés avec la population locale. Dirigés par un chef (ubutu), les Karibs de la Dominique subsistent grâce à un artisanat (objets de fil, de corde, fabrication des paniers caraïbes et de petite vannerie en général).
Des Black Karibs, réfugiés dans l'île de Saint-Vincent au 18ème siècle, furent déportés à la fin de ce siècle par les Britanniques dans le golfe du Honduras, sur l'île de Roatan, d'où ils s'implantèrent sur les côtes du Honduras, du Nicaragua et de Belize (communauté des Garifunas). D'autres communautés existent en Amérique du Sud, au Venezuela, en Colombie, au Brésil, en Guyane française, au Guyana et au Suriname.
Le nom international de « Caraïbes » leur a été définitivement attribué après l'arrivée des Européens et leur nom sera donné à la mer de l'Amérique centrale : la mer des Caraïbes. La désignation des Caraïbes dans la langue arawak, cariba, a par ailleurs été transposée, via l'espagnol, dans de nombreuses langues européennes, par exemple le français, donnant l'adjectif et substantif « cannibale ».
Leur culture et leur patrimoine génétique participent toutefois au métissage des sociétés créoles.
Principales sources : Caraïbes et Arawaks : mythes et réalités de B. Bérard et Arawaks & Karibs de R. Detambel
Analyse des armoiries de la Guadeloupe
Voici l’analyse qui en est faite sur le site Les armoiries de la Guadeloupe :
« Les armoiries de la Guadeloupe sont très anciennes. Elles présentent un contenu qui véhicule du sens à forte signification symbolique. Au premier regard, ces armoiries impressionnent par la force, qui se dégage des symboles et des couleurs, qui les composent.
Dans le langage héraldique, les armoiries se lisent de la façon suivante:
De sable, aux cannes à sucre feuillées de sinople, au soleil rayonnant d’or brochant sur le tout ; au chef d’azur semé de trois fleurs de lys d’or.
De sable: Il s’agit du fond noir principal. Il symbolise probablement plusieurs sens à la fois.
- en premier lieu: l’Afrique, le continent noir et le fondement du peuplement de la Guadeloupe
- en second: l’Egypte Ancienne car ce fond noir indique, en raison des cannes à sucre feuillées de sinople (vert), la Terre d’Egypte prise dans son symbole le plus fort, de Terre la plus fertile d’Afrique, le long du Nil, comme la Guadeloupe est l’île la plus fertile des petites Antilles, entre la Mer Caraïbe et l’Océan Atlantique. Il y a une analogie.
- en troisième: par ce fond noir, les armoiries sont chargées de spiritualité et porteuses en même temps de toute la souffrance historique de son fondement. Cette impression est probablement la résultante inconsciente et conjointe, de l’Afrique et de l’Egypte mythique, berceau de la spiritualité qui a accouché des trois religions du Livre. Mais cette impression est, probablement aussi, le résultat du geni de ces armoiries, qui ont su transmettre par ce fond noir, toute la douleur de la fondation initiale de l’Ile, car le vrai fondement initiatique, c’est toujours la douleur. La conjonction du noir, du jaune (l’Or), du vert et du bleu n’est pas anodine, ni sans effet. Le Noir représente l’origine de l’âme profonde de l’Ile dans son immanence; l’Or du Soleil, l’espoir, l’espérance et la voie; le Vert et le Bleu, l’Ile dans sa végétation luxuriante, entre ciel et mer… Ceci n’est pas sans rappeler ce chant ancien, “ Oh, mon île au soleil, paradis entre ciel et mer, où mes parents ont vu le jour, où mes enfants vivront à leur tour…” Et pourtant…
L’impression fortement historique et collective qui se dégage des armoiries, est confirmée par les cannes de sinople qui indiquent les raisons de la douleur: la culture de la canne, l’esclavage mais aussi l’espoir d’un avenir meilleur, ce soleil en brochant . Les cannes sont inclinées, de la gauche vers la droite, c’est à dire du Nord vers le Midi, où se trouve la base, c’est à dire les racines, dans un phénomène de glissement. Ce détail ne peut échapper à un initié: il y en a eu de nombreux parmi les Guadeloupéens. Il faut croire que le phénomène ne date pas d’aujourd’hui… Cette feuillée de cannes ressemble aussi à la palme des martyres, posée sur un fond noir et scellée du disque solaire. La force analogique de ce ternaire est imposante: on la ressent inconsciemment.
Mais le contenu principal, le meuble principal comme on dit en héraldique, c’est ce Soleil d’Or en surimpression (brochant) qui fait certes référence aux tropiques, mais qui ne peut se limiter à cette interprétation. C’est un retour à l’Egypte Ancienne, car le Soleil et la Terre Noire sont les deux symboles principaux de l’Egypte Ancienne, dans un ancrage symbolique qui représente tout l’apport Africain par une forte symbolisation, riche de sens. Un Soleil sur fond Noir! Une force de la représentation symbolique, qui crée un trouble par la puissance de sa vibration, au point que certains aient voulu transformer ce fond Noir, en fond rouge comme on le voit parfois. Les 30 Rayons de Soleil qui s’échappent en cercle, éclairent l’unité des 12 mois de l’année, celle du cercle du zodiac. Les 360 jours de l’année égyptienne ignorent les 5 jours de tous les malheurs de l’Homme, dans l’étoile à 5 branches qui peut, hélas, s’inverser…
Le chef d’azur aux trois fleurs de lys d’or, est un élément historique qui nous rappelle l’époque de l’entrée de l’Ile dans l’histoire du nouveau monde, le royaume de France et le commanditaire du commerce triangulaire, la face cachée des trois fleurs de lys… C’est à cette époque, dans ce contexte, que s’est constituée dans la douleur d’un accouchement difficile, le peuplement par des hommes et des femmes qui deviendront la souche Guadeloupéenne. Nous avons ici dans le nombre trois des fleurs de lys, une analogie à l’origine au contexte et au contenu du fondement. Ce qui fait la richesse d’un symbole, ce sont ses différents niveaux de lecture et leur permanence dans le temps. En ce qui concerne cette bannière de la Guadeloupe c’est tout simplement époustouflant!
Alors certains diront, mais il n’y a pas de rouge, symbole du sang, de la souffrance, et du combat. Non il n’y a pas de rouge, malgré le sang versé dans la douleur et dans la révolte. Il y a du noir, symbole du sang qui a coagulé parce qu’il n’a pas été pansé, bien qu’il ait coulé comme les pleurs, et qu’il ait fertilisé symboliquement la Terre Nouvelle, le champs noir de l’écu. Symboliquement le noir prend alors une signification plus haute que le rouge; sa force vibratoire est d’un niveau supérieure au rouge. Le sang en séchant devient noir et couleur de révolte. Le sang coagulé est le sang de celui qui n’a rien à perdre, celui qui sait que personne ne pansera ses plaies, c’est la signification du drapeau noir de la révolte absolue. Il fallait oser sur un emblème collectif! C’est là aussi que le Soleil brochant prend toute sa force de Lumière et de rédemption. La force du contraste et disons du contraire, des ténèbres et de la Lumière, qui en met plein les yeux à celui qui contemple ce drapeau.
Des armoiries splendides, dans la profondeur des symboles historiques, de la douleur et de l’espoir, véhiculés comme symbole collectif fondateur. Des armoiries qui mériteraient de flotter plus souvent dans les Alizés de la Guadeloupe, comme un pont entre le passé, l’avenir et l’espérance…
C’est par cette plénitude de représentation symbolique (armes parlantes), que ces armoiries ou blason, constituent un véritable drapeau régional de la Guadeloupe. »
Kanaval : des origines antiques aux sound systems guadeloupéens
Issu des rites ancestraux du vieux continent et de l’Afrique, le carnaval guadeloupéen est aujourd’hui une institution. De l’Epiphanie au mercredi des Cendres, il nous fait joyeusement entrer dans la nouvelle année, pour finir en apothéose musicale et chorégraphique lors de la semaine des jours gras. Un tel événement ne peut se résumer en quelques lignes, c’est pourquoi nous l’aborderons sous différents angles :
- Des lointaines origines du carnaval à nos jours en Guadeloupe
- La symbolique des masques
- Musique, une riche cacophonie
- Les groupes carnavalesques
- Le carnaval des enfants
- Les gourmandises traditionnelles
- Une organisation complexe et fragile
- Le parrainage / Les retransmissions télévisées / Le carnaval s’exporte
- Chronologie des festivités (base 2015)
- Des lointaines origines du carnaval à nos jours en Guadeloupe
Altération du latin médiéval carne levare, formé de carne (la chair) et de levare (ôter, retirer), littéralement "ôter la viande", ce qui signifiait chez les catholiques italiens, le retrait de la viande (du gras) de la table durant toute la période de Carême : période d’abstinence et de privations, qui rappelle les quarante jours de jeûne de Jésus-Christ dans le désert. Les carnelevare connurent un tel succès que les français, espagnols et portugais décidèrent de l’adopter… Le carnaval désigne donc dans les faits la période de réjouissances pendant laquelle on va "dire adieu à la chair" et qui précède le Carême. Certains courants religieux ont d’ailleurs de tout temps déploré ces excès, en contraction avec les écritures saintes...
La période des festivités commence en général avec l’Epiphanie (le premier dimanche de janvier), jour de la galette, qui célèbre la visite des trois rois mages à l’enfant Jésus. C’est du moins ce que l’église a inventé pour dissimuler une pratique plus ancienne encore : Pendant les fêtes des Saturnales de la Rome antique, le temps d’un jour, les esclaves devenaient les maîtres, et inversement. Celui qui tirait la part de gâteau où la fève avait été cachée, devenait quant à lui le roi des réjouissances.
Comme de nombreuses fêtes actuelles, le carnaval est le fruit d’une "appropriation contrainte" des rites païens par l’église : Il trouve ses origines dans des célébrations ancestrales de la fin de l’hiver et de l’arrivée du printemps, traduites par des rites de fécondité et de fertilité (Proche-Orient) et de célébrations des dieux (égyptiens et babyloniens, entre autres). Les romains célébraient Bacchus et organisaient des défilés de chars chargés d'effigies des dieux et de jeunes filles, dans une atmosphère souvent décrite comme licencieuse… Un homme du peuple était élu "prince du carnaval" et devait ouvrir la procession avec grand faste. Et avec les conquêtes romaines du nord de l’Europe, bientôt s’ajoutèrent les rites masqués (pour chasser les démons et assurer la fertilité de l’année nouvelle) des fêtes germaniques. L’église tenta bien à maintes reprises de mettre un terme à ces fêtes païennes, mais sans jamais y parvenir définitivement, tout au mieux put-elle les "encadrer" en posant certaines conditions (faire carnaval, oui, mais à condition de respecter Carême ensuite).
Ainsi lié au catholicisme, le carnaval essaima sous de nombreuses formes en Europe et en Amérique. Il est aujourd’hui l’occasion de chanter, danser, se déguiser et très souvent de parader dans un esprit festif. A la volée, citons les carnavals de Rio de Janeiro, de Nice, de Dunkerque, de Binche (Belgique) avec ses "Gilles" et ses lancés d’oranges propitiatoires, de la Nouvelle-Orléans en Louisiane et, bien entendu, des Antilles et de la Guyane françaises.
Il s’achève le Mercredi des Cendres (entre, selon les sources, le 5 février et le 9 mars), qui marque le début de Carême, 46 jours avant Pâques. C’est le jour de l’imposition de cendres au front des pénitents (valeur symbolique de la mort avant la résurrection), cendres obtenues en brûlant les rameaux bénis l'année précédente lors du Dimanche des Rameaux (rappelant l’arrivée solennelle de Jésus à Jérusalem, accueilli avec des palmes, avant sa crucifixion).
En Guadeloupe, le carnaval a donc tout naturellement fait son apparition avec l’arrivée des premiers colons français, au 17ème siècle. Les esclaves, tout d’abord mis à l’écart, furent progressivement autorisés à participer aux festivités. Ils marquèrent leur différence par le port de masques originaux, et de nouvelles sonorités dûes aux tambours et chants (gwoka), issus de leurs origines africaines. Cette première distinction entre déguisements européens et masques africains est encore palpable aujourd’hui, induite par les différences sociales : les masques sont majoritairement investis par les classes dites populaires, tandis que les déguisements et autres travestissements le sont par une classe plus bourgeoise. Les esclaves voyaient également en cette fête une occasion inespérée de tourner en dérision, par le déguisement notamment, leurs maîtres esclavagistes.
Car le carnaval, c’est aussi le renversement consenti de l’ordre social, la moquerie et la satire y ont libre cours. Et les railleries "bon-enfant" des esclaves à l’égard des maîtres étaient tolérées à l’époque. Bien plus tard, après la révolution, elles prirent des accents de révolte au travers des des chants entonnés, et se politisèrent, offrant l’occasion de dénoncer un sort peu enviable devant des maîtres dominateurs. Le carnaval fut alors mis à profit pour exhiber les symboles de l’oppression coloniale.
Hélas, le début du 20ème siècle et l’après-guerre sonnèrent des heures peu glorieuses pour le carnaval, qui se résumait aux défilés des milieux aisés pendant les seuls jours gras, excluant les classes populaires, réléguées au simple état de spectateur. Dans les années 60, le carnaval de Guadeloupe se mourrait lentement…
Mais tel Vaval qui renaît chaque année, il retrouva un souffle de vie dans les années 70, grâce notamment à un "groupe à pied" tapant sur des fûts en plastique avec des baguettes de caoutchouc : les « Plastic Boys ». Si la qualité des percussions n’était pas toujours au rendez-vous, il n’empêche qu’une frange encore minoritaire de la population perçut pleinement la dimension ancestral de ces rythmiques réapparues et se réappropria lentement le carnaval, multipliant les groupes du même genre. On sortit les caisses claires des batteries et, la prolifération aidant, les manifestations débordèrent le calendrier habituel, anticipant les jours gras jusqu’à début janvier.
Et tandis que la Guadeloupe traversait une période de quête identitaire marquée, certains groupes retournèrent aux fondamentaux et remplacèrent les fûts en plastique par de vrais tambours à peaux, mêlant au jeu carnavalesque l’affirmation d’une identité guadeloupéenne jusque-là tue ou refoulée. Cette quête se politisa au point que, durant la grande décennie nationaliste guadeloupéenne (1975-1985), le sous-préfet de l’époque censura le groupe Akiyo pour "atteinte à l’intégrité de l’état français" celui-ci n’ayant pas hésité à endosser la couleur kaki et le casque des années coloniales. Ce qui valut au fonctionnaire d’être rappelé en métropole… Les ambitions du groupe étaient alors de redonner un vrai caractère créole au carnaval en y réintroduisant les tambours à peau et des masques traditionnels, qui étaient alors remplacés par des instruments en plastique et des costumes en satin-paillettes. L’objectif : revaloriser la culture guadeloupéenne, souvent auto-dénigrée par les Guadeloupéens eux-mêmes. Mais ce groupe comptait aussi parmi ses membres des gens très proches des indépendantistes, d’où cette bévue politique… Il n’en demeure pas moins que le groupe Akiyo réussit son pari carnavalesque car la Guadeloupe resserra ses rangs autour de lui, contre le sous-préfet (8000 manifestants dans la rue), prit conscience de la force de ses traditions et ne cessa dès lors donner une vraie identité à son carnaval.
C’est d’ailleurs à partir des années 80 que le carnaval a commencé à se structurer, laissant peu à peu l’apparente anarchie qui caractérisait son organisation faire place… à des querelles de clocher organisationnelles ! Mais, bon.
Aujourd'hui, les courants carnavalesques sont nombreux et se manifestent de multiples manières : chars, groupes à pied, individus isolés, ou grands déferlements, au sein du cortège, en ordre de marche ou en électron libre, ou encore parmi la foule, sans parler des musiques et chorégraphies, elles aussi très variées. Nous y reviendrons... Et l’événement ainsi redoré depuis quelques décennies, mobilise à nouveau la population, non seulement grâce notamment au dynamisme des comités récemment créés, mais également au sens très prononcé de la fête des antillais. Le carnaval est redevenu une grande fête populaire, partagée par tous, participants et badauds, guadeloupéens et touristes.
- La symbolique des masques
Dans toutes les populations archaïques, le masque servait de lien entre les mondes de l’au-delà et le commun des mortels. Soit il protégeait des esprits mal-faisant soit, au contraire, il permettait à son porteur d’être possédé par les forces surnaturelles. Selon nombre de croyances ancestrales, fécondité et fertilité relevaient des esprits, et porter le masque permettait de "rentrer en contact" avec eux ; ripailler et s’adonner à certains rites devaient les satisfaire ; avec l’espoir d’être entendu et largement récompensé.
En Afrique, "le continent des masques", les cérémonies rituelles étaient associées à des masques de circonstance qui offraient à leur porteur d’être habité par tel ancêtre ou telle force de la nature, capable de prévenir, guérir, punir et même tuer. Les croyances ancestrales ont certes pour beaucoup disparu de nos jours, mais elles ont néanmoins laissé une trace prégnante dans l'inconscient collectif, et de ces rites, le masque est certainement la plus flagrante représentation carnavalesque.
D’autre part, en cachant son visage aux personnes qu'il rencontre, le masque autorise son porteur à jouer un rôle tout différent de sa propre personnalité. Simple loup, grimmage, ou masque recouvrant toute la tête à l’image de célébrités, d’animaux ou de créatures mythiques, il déstabilise, voire effraie celui qui lui fait face, tout en décuplant l’assurance de son porteur de par l’anonymat qu’il lui procure. Dans une ambiance de sensualité exacerbée, de rythmes endiablés, de renversement - même ludique - de l’ordre social, le masque est un accessoire primordial du carnaval, évoquant aussi les hantises et les fantasmes locaux.
Dans le contexte du carnaval guadeloupéen, le mas ou mass (masque) est une personne ou un groupe de personnes défilant en marge du défilé officiel. C'est aussi le costume qui fait référence à un personnage de l’histoire ou de l’imaginaire guadeloupéen et qui rappelle l'Afrique. Le mas est là pour effrayer, déranger et choquer. En voici les principaux :
- Le mass a lan-mò, mass lan-mò, mass lan-mò ou mass lamow (masque de la mort) est drapé soit de blanc, soit de noir et porte un masque funéraire. Il peut envelopper la foule ou piquer le spectateur d’une épingle.
- Le mass a konn (masques à cornes) est le symbole du taureau, synonyme de puissance dans un monde rural.
- Le mass a fwet (masques à fouet) est souvent habillé de chemise et de pantalon en tissu madras, tête encagoulée et masquée ; il représente la virilité et la fécondité.
- Le mass a miwa (masques à miroirs) est habillé en costume de tissus de couleurs vives ou de madras, parsemé de fragments de miroirs. Il symbolise le changement et la mutation et fait référence au dieu Janus (né du chaos originel, porte entre l’ancien : l’hiver, et le nouveau : le printemps).
- Le mass a kongo (Kongos, ethnie africaine), mass a goudwon (masques de goudron) ou mass gwo-siwo (masque gros sirop) est vêtu du konoka (pantalon de travailleur des champs), d'un short ou d'un simple cache sexe, il s'enduit toutes les parties visibles du corps d'un mélange de mélasse destinée à noircir la peau et rougit ses lèvres de roucou (plante américaine dont les indiens extrayaient une peinture de guerre rouge). Ils représentent les nègres importés d'Afrique et la présence africaine dans le présent. Dans le passé, un des membres effectuait une danse acrobatique en montant sur deux longs bâtons posés sur les épaules de quatre hommes.
- Le mass a rubans est vêtu de long rubans cousus sur ses vêtements brillant et d'un chapeau. Leur danse consistait à tourner au pied d'un mât en tressant autour de celui-ci de longs rubans. Le symbole phallique a son importance dans ce mass. Ce mass est importé par les travailleurs indiens et a, de nos jours, presque disparu.
- Le mass a hangnion ou mass a rannyon (masque en haillons) porte des haillons multicolores cousus sur un vieux vêtement et symbolise la pauvreté. Après les fêtes de Noël et les dépenses, la population n’a pas d'autre choix que de récupérer de vieux vêtements. Il ouvre le carnaval.
- Le mass a Lous (masque à l'ours) est vêtu de feuilles de bananes et porte un masque avec des cornes de bœuf. Il est le symbole de l'héritage des temples religieux africains et symbolise une divinité africaine.
- Le mass a roukou ou mas a woukou (masque de roucou) est vêtu d'un pagne fait de feuilles et est recouvert d'huile de roucou. Il représente les premiers habitants de Guadeloupe : les Indiens Caraïbes (Zendien Karaib).
- Le mass a biki ou moko zombi existe depuis le début de 20ème siècle. C'est un homme habillé en femme, masqué et monté sur échasses. Il danse au son du triangle, du tambour basque et de l'accordéon. Il représente les esprits, les zombis ou le diable. Il portait un parapluie qu'il utilisait pour faire la quête.
- Le mass a Man Ibè (masque de madame Hubert) : symbole des hypocrites et des traîtres. Madame Hubert était une guérisseuse de Pointe-à-Pitre qui parcourait les bois la nuit, accompagnée de ses chiens, à la recherche de plantes médicinales et magiques. Elle était critiquée le jour par ceux qui venait la consulter la nuit.
- Le mass a zonbi (masques de zombie) : créé pour le Lundi-gras de 1991 par le groupe carnavalesque Voukoum.
- Musique : une riche cacophonie
La musique carnavalesque guadeloupéenne tire ses origines :
- de l’Afrique assurément,
- de l’Europe par certains instruments (accordéon, trompette…),
- de l’Amérique du Sud (samba !)
- et maintenant de l’Amérique du Nord ;
tout cela fondu et remodelé à la sauce créole… Le piètre mélomane que je suis aura bien du mal à faire un exposé clair sur le sujet, mais voici néanmoins ce que j’ai pu en retenir…
La musique carnavalesque est une expression musicale de masse caractérisée par la participation du plus grand nombre. Elles est aussi un champ expérimental qui a su nourrir certains genres musicaux, et en particulier celui de la biguine. Fut un temps où se pratiquait la biguine vidé : chant sans couplet, qui faisait l'objet de question/réponse entre un instrument et les chanteurs. Si elle ne se pratique plus, en revanche le principe des chants scandés sur fond d'orchestre et de percussions est toujours bien vivant.
Il est bien évident que le tambour est l’instrument dominant du carnaval, garant de la rythmique ; mais du fût en tôle, au bidon plastique, en passant par la caisse claire jusqu’au gwoka retrouvé des esclaves d’antan, l’objet lui-même est déjà multiple. Il faut ensuite distinguer les musiciens : des percussionnistes confirmés au tambourineurs amateurs, la gamme des compétences est large… Et tout cela s’accorde sur une rythmique propre au groupe auquel il appartient : la musique des mass a fwet n'est pas celle des mass a kongo, encore différente de celle des mass a miwa. Elles ont cependant pour origine commune, la musique du mas a sen jan, qui était un groupe carnavalesque des quartiers populaires de Pointe-à-Pitre, né dans les années 1940, à l’initiative d’un certain Mokafa. En plus de son rythme caractéristique, il utilisait deux types de tambours à peaux, frappés à l’aide de baguette, un tambour basse et un tambour médium. Le groupe Akiyo, dans les années 80, en a enrichi non seulement l’orchestration par l’ajout de nouveaux tambours (tambour chant et contre-basse) mais aussi le rythme.
Certains groupes associent également d’autres instruments aux percussions, tels que des accordéons, des flûtes (typique des mass a miwa de Vieux Fort) ou autres conques de lambi, héritage des amérindiens… Et d’autres groupes se passent même tout simplement de percussions, détournant du coup l’utilisation première d’instruments à vents (trompettes, cors, bugles…), sonnant le temps avec ces derniers…
Si la musique des défilés est assez spéciale, c’est qu’elle peut être produite à partir d'objets de récupération divers (bouteilles, bidons de viande salée en plastique de taille différente frappés avec un bâton à l'extrémité rembourrée de tissu et de caoutchouc, calebasse pour le "chacha" garnie de graines de réglisse, bois-bambou, etc.), de sifflets, le Tiyobanbou (tuyau de bambou), Siyak Tanbouras (tambour plat et rond).
En matière de styles, si la biguine et le zouk résonne encore autour du carnaval, que dire de la samba brésilienne qui y a fermement pris ses marques ? Enfin, plus récemment encore, ont débarqué des camions décorés déversant des musiques plus… modernes de steel-band, de soca ou de jump’up.
Un monsieur très éclairé a déclaré, il y a longtemps déjà, à propos de la musique carnavalesque guadeloupéenne : On part du bruit "pour chasser l'âme des morts" pour arriver à la musique, quitte à retourner au bruit... C’est assez représentatif de ce que l'on peut entendre dans la rue, lors des défilés ! Mais ne résumons pas la musique carnavalesque à cela, car certains groupes de musiciens offrent de vrais concerts, quelque soit le genre, et il est particulièrement conseillé d’aller les écouter lors de manifestations "statiques" telles que le festival des "group-a-po" de Port-Louis, par exemple.
- Les groupes carnavalesques
Depuis peu, les groupes carnavalesques (associations visant une unité musicale, vestimentaire et chorégraphique dans le but de participer officiellement aux défilés du carnaval) sont divisés en trois grande catégories :
1. Les group a po (groupes à peau) utilisent des tambours à peau d’animal, des chachas et conques à lambi. Sur la région Pointoise, ils jouent la musique Sen Jan (dite "musique des laissés-pour-compte") comme le groupe Akiyo, fondé en 1979 et premier groupe à peau (certainement le plus estimé de Guadeloupe), et sur la région basse-terrienne c'est plus généralement la musique Gwo Siwo qui est jouée, tel que celle du groupe Voukoum, fondé en 1988, le premier à jouer la musique Gwo Siwo. Leur marche est vigoureuse et ils sont souvent surpeuplés.
On peut compter des sous-groupes parmi les group a po :
- Les group a fwet (groupes à fouet) font claquer des fouets généralement pour exprimer la souffrance qu'enduraient les esclaves durant l'esclavage.
- Les group gwo siwo (groupes gros sirop) sont couverts de siwo batri (sirop batterie) noir très odorant.
- Les groupes gros tambours, très rares aujourd'hui.
- Les cortèges à pied : ce sont les plus communs.
2. Les group ti mass, apparus au milieu des années 2000. Malgré leurs masques et leur costumes stéréotypés ils arrivent la plupart du temps à innover grâce à leurs chorégraphies et à leur humour. Le groupe Tonshi Mass dont la créativité axé sur la patrimoine de l'île a permis de se hisser parmi les plus emblématiques des group ti mass.
3. Les groupes à caisses claires, très nombreux, avec des costumes très diversifiés. Seuls groupes utilisant des sections de cuivres, ce sont les groupes dont le financement est le plus onéreux. Ils sont reconnaissables à leur musique et, évidemment, à leurs costumes et à leurs chars. Parmi les groupes les plus emblématiques, nommons Magma de Basse-Terre, Avan Van du Moule, Kassika de Capesterre-Belle-Eau ou Explosion V du Moule.
- Dans les années 80, sont apparus du côté de Basse-Terre les groupes à synthés (ou groupe à sono). Il s’agit d’un groupe à caisse claire dont la particularité est d’être précédé par un sound system ambulant embarqué sur un camion comprenant : groupes électrogènes, enceintes, synthétiseurs, guitares et chanteurs à micro. Moins traditionnels que les autres groupes, mais aux rythmes musicaux plus soutenus, ce sont de sérieux pourvoyeurs d’ambiance. Le premier d’entre ces groupes fut Mango Dlo de Basse-Terre (aujourd’hui disparu), citons également Volcan de Basse-Terre, Explosion des Saintes, Black marbré de Morne-A-l'Eau (avec uniquement un synthé pour la partie sonorisation) ou encore Baillif Express de Baillif.
Parmi les groupes emblématiques, citons également :
- Kasika de Capesterre-Belle-Eau (150 membres) : spécialiste du carnaval mais également de la Noël, connu notamment grâce à son fer de lance « Benzo » (Benjamin Moïse).
- Matamba de Saint-François (100 membres) : Spécialiste des défilés à pied.
- Waka (250 membres) : Son premier album s'appelle "MIZIK'AVAN". Compilation de musique de Noël, de carnaval et de gwoka.
- Le groupe Voukoum de Basse-Terre : Mouvement culturel travaillant pour la sauvegarde du patrimoine culturel guadeloupéen. Sur le carnaval, le groupe fait des recherches sur les masques traditionnels et retour à la musique ancestrale mizik a mas gro siwo.
- Le carnaval des enfants
Quel enfant n'aime pas se déguiser et prendre l'apparence d'un diablotin ou d'un super-héros ?... Le carnaval leur réserve une place de choix et les petits carnavaliers ne se font pas prier pour l'occuper !
Dès les premiers jours de janvier, les enfants des écoles escortés par les parents et les enseignants défilent dans les rues des quartiers et des bourgs, déguisés selon un thème donné. Les nôtres défilèrent cette année sur le thème des « couleurs de l’arc-en-ciel »…
Les enfants ont même leur mass : le mass a banblet. Et des défilés organisés par les différentes fédérations du carnaval ont également lieu dans les villes de Guadeloupe, citons par exemple :
- Défilé des enfants (31 janvier à Trois-Rivières).
- Défilé des écoles (7 février à Bouillante)
- Ronde des enfants : défilé des enfants en costumes traditionnels (14 février à Basse-Terre).
Ces événements s'accompagnent parfois d’élections de "mini-reines" qui représentent les enfants lors des Jours Gras.
Et puis chaque dimanche, les jeunes des « campagnes » barrent les routes secondaires, faisant claquer leur fouet et demandant une rançon aux automobilistes en se donnant des airs de bandits de grand chemin (cela peut quelquefois s’apparenter à du mini-racket, lorsque les costumes et l’esprit de fête font place à un simple masque et des claquements de fouets intimidants…).
- Les gourmandises traditionnelles
La marche, la chaleur, la danse et l’excitation donnent forcément faim et soif, et il ne sera pas difficile de trouver des marchands de beignets, snow-ball, sorbet coco ou mangue et de boissons fraîches sur les trottoirs pour satisfaire ces petites envies…
- Une organisation complexe et fragile
Nous l’avons vu, l’histoire du carnaval guadeloupéen est loin de s’apparenter à un long fleuve tranquille… En 2005, un journaliste déclarait : « C'est devenu une tradition dans la tradition, à chaque carnaval, les fédérations et groupements de Basse-Terre et de Grande-Terre parlent toutes d'un carnaval unitaire. Cette année encore, Vaval 2005 s'est déroulé sous le signe de la division. L'espoir subsiste pour 2006. »
Aujourd’hui, il semble que le climat se soit apaisé, même s’il ne transpire pas grand choses des coulisses de l’organisation du carnaval. La raison est probablement en train de l’emporter et la concertation est de rigueur entre les principaux acteurs, que sont entre autres :
La FGC - Fédération Guadeloupéenne du Carnaval,
La FEDE - Fédération du Carnaval et des Fêtes de Guadeloupe,
Le KMK - Kolektif Mas Kiltirèl,
Le GCCRP - Groupement pour la Culture et le Carnaval de la Région Pontoise.
Ces quatre organisations composent depuis quelques années le conseil d'administration de l'OCG - Office du carnaval de Guadeloupe, aux côtés des collectivités et du comité du tourisme.
"Le carnaval est une histoire de passion. Les responsables de groupements et les nombreux bénévoles ne comptent pas leur temps et leur énergie." déclarait le président de l’OGC en 2014, laissant entendre qu’en ces conditions il était difficile d’imposer par la force des obligations aux différents groupes organisateurs. L’OGC, consciente du potentiel économique de l’événement et du fabuleux vecteur de communication qu’il offre pour la Guadeloupe, œuvre à sa professionnalisation et à l’unité de ses membres tout en tâchant de préserver sa diversité artistique et culturelle. Une labellisation serait en cours.
Il n’en reste pas moins que chaque organisation affiche encore SON programme, avec SES concours, SES remises de prix, etc. au grand dam du public qui se doit de collecter les informations pour se faire une idée précise du programme complet !
Ce petit panier de crabe n’empêche heureusement pas les carnavaliers de donner le meilleur d’eux-mêmes et la population de s’amuser…
- Le parrainage
Tout grand événement se doit d’être parrainé, et le carnaval ne fait pas exception. A titre d’exemple, en 2015, ce fut Jocelyn Pézeron, professeur d'arts plastiques très connu en Guadeloupe à travers ses différentes réalisations monumentales visibles dans le département.
Pendant près d’une trentaine d’années, il s’est investi auprès des jeunes et leur a permis de réaliser, avec peu de moyens mais avec goûts, des décors carnavalesques. Il est aussi le concepteur de nombreux Vavals.
- Les retransmissions télévisées
Depuis plusieurs années les parades du carnaval sont retransmises en direct à la télévision. Les téléspectateurs peuvent voter par téléphone ou par SMS lors des concours.
- Le carnaval s’exporte
Du vieux continent au nouveau monde, le carnaval est une tradition, et les échanges culturels, manifestations sportives et autres concours sont autant d’occasions de promouvoir le style guadeloupéens. Ce fut dernièrement le cas du groupe Mas ka klé des Abymes, qui porta les couleurs musicales de la Gwada au West Indian American Day Carnival de New-York fin août 2014, ou du groupe Nasyon a Nèg Mawon qui anima, à Saint-Malo, le départ de la Route du Rhum.
- Chronologie des festivités (base 2015)
1er janvier : Quelques groupes esquissent une première sortie en s'associant aux rituels du bain démarré...
le « bain démarré », une tradition qui reprend vie. Il s’agit avant tout de se baigner dans l’eau de mer afin de se laver symboliquement de tous les ennuis de l’année écoulée. Parallèlement, des offrandes amenées à la mer symbolisent une cérémonie d’hommage aux Ancêtres, desquels on demandera la protection pour la nouvelle année. Tout l'esprit du carnaval !
2 janvier : Traditionnel déboulé de présentation, dans son fief de Rivière-des-Pères (Basse-Terre), du célèbre groupe Magma, plusieurs fois vainqueurs ces dernières années.
4 janvier : Des dizaines de groupes et un public impatient se retrouvent dans les rues de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre pour ouvrir la saison carnavalesque 2015. Pas de doute que la petite pluie tombée en fin d’après-midi soit une bénédiction céleste !
5 janvier : Ouverture officielle de la saison par les différents comités carnavalesques à Basse-Terre et « dékrasaj » des group-a-po et de quelques formations caisses claires à Pointe-à-Pitre.
10 janvier : festival des group-a-po à Port-Louis.
10 et 11 janvier : Gozieval au… Gosier. Une projection , un débat, un feux d'artifices et surtout une grande parade au programme. Et 10.000 € de prix à se partager entre les 8 meilleurs groupes…
11 janvier : Défilés à Port-Louis et à Pointe-Noire.
16 janvier : Déboulé des group-a-po à Sainte-Rose.
17 janvier : Ripaj a kess à Sainte-Rose.
18 janvier : Défilé Kannaval Limass à Sainte-Rose et défilé « Vaval Show » à Sainte-Anne comprenant une trentaine de groupes.
A noter également, à Port-Louis, la fête du Pongal (depuis 2013).
Cette fête hindouiste est finalement assez proche de l’esprit carnavalesque, en ce sens qu’elle honore (traditionnellement sur 4 jours) l’arrivée des mois les plus ensoleillés de l’année au travers de rites festifs célébrant le renouveau et la fécondité : au premier jour, on brûle les vieux vêtements faisant table rase du passé, au deuxième on se rend visite en s’offrant du Pongal (riz bouilli avec du lait frais et de la mélasse ou du sucre brun), au troisième jour, on rend grâce aux vaches et aux buffles qui aident l'homme à labourer les champs, et au quatrième jour, les jeunes gens se réunissaient au bord des rivières pour y chercher un futur conjoint (coutume tombée en désuétude).
25 janvier : Défilé à Vieux-Habitants, au Moule et à Basse-Terre : Voukoum (qui signifie « vacarme, tapage », groupe musical carnavalesque créé en 1988 travaillant pour la sauvegarde du patrimoine culturel guadeloupéen et pour son renouveau. Sa musique est inspirée du Gwo Siwo, dont l'instrument principal est le tanbou-ka).
30 janvier : Défilé à Deshaies, Voukoum à Basse-Terre.
31 janvier : Défilé des enfants de Trois-Rivières. Défilé à Vieux-Habitants. Lancement du Mas a lanmou : parade de l'amour du 31 Janvier au 8 Février, à Baie-Mahault.
1er février : Défilé à Trois-Rivières, à Port-Louis et « Doubout pou on gran vidé » aux Abymes.
6 février : Election des prince, princesses et de miss carnaval à Pointe-à-Pitre. Manifestations intergénérationnelles avec les écoles, les Ateliers de Matouba et l'association des aînés "Cœur de Bouillante" à Bouillante. Le soir, concours de musiques carnavalesques avec le groupe Petay Cho.
7 février : Défilé des écoles de Bouillante et lâcher de pigeons.
Aux Saintes : Défilé à Terre-de-Haut, et à Terre-de-Bas défilé des écoles maternelles et primaires de l'archipel dont le thème est "la tenue créole".
A Saint-François, « Battle de danse carnavalesque » pour les jeunes de 6 à 30 ans.
C’est aussi l’élection du roi et de la reine du carnaval lors d'une grande soirée à Basse-Terre.
Vaval est le symbole fort du carnaval guadeloupéen. Il s’agit généralement d’un personnage de carton ou de papier mâché de plusieurs mètres de haut, monté sur un char ou articulé et manipulé, représentant un personnage souvent connu, ou une actualité marquante. Il fut incarné, par exemple, en énorme banane en 2005, rappelant les dégâts produits par le Chlordécone. Il symbolise tous les problèmes, désagréments et deuils de l'année écoulée, c’est pourquoi il est brûlé à la fin du carnaval.
Il peut s’agir également d’un bwa-bwa (mannequin ou pantin de bois ou de son) affublé d’un masque, de taille plus modeste, souvent à charge politique.
Quant aux prétendantes au titres de Reine (toutes de groupes différents) qui accompagnera Vaval, elles défilent une à une sous l’œil avisé d'un jury. Il y a trois concours :
- la Reine du carnaval des lycées
- la Reine et du roi de chaque commune
- la Reine départementale.
La Reine peut se présenter dans trois costumes différents : costume traditionnel, tenue de soirée, travestie. Elle trônera en tête des défilés tout au long des jours des jours gras.
A Pointe-à-Pitre, élection du Prince et de la princesse du Carnaval et de miss Carnaval.
8 février : Défilé à Bouillante : à 6h00, Lévé an pijama avec le Groupe Ti-Bwa, village carnavalesque, foire culinaire et grande parade…
A Baie-Mahault, grand défilé (une quarantaine de groupes) « Bémao mi Mass », placé sous le signe de l’amour et de la paix, selon les vœux des habitants consultés par internet : « Nous demandons aux spectateurs de s'habiller en blanc, rouge ou rose, les couleurs de la paix et de l'amour », explique E. Nigebel, présidente du comité de carnaval.
10 février : Défilé des enfants dans les rues de Pointe-à-Pitre.
13 février : Déboulé annuel (8ème édition) de group-a-po à Morne-à-L'eau et parade nocturne au Lamentin.
NB : La semaine, qui précède mercredi des Cendres, est appelée "semaine des sept jours gras" autrefois appelés "jours charnels". C’est le moment fort du carnaval. Les sept jours qui la composent et notamment les dimanche, lundi et mardi sont donc qualifiés de "gras" par opposition à la période de restriction, et donc "maigre", qui lui succède (carême).
14 février : Défilé des écoles à Basse-Terre et animation sur podium, place de la Victoire, à Pointe-à-Pitre.
15 février - Dimanche Gras : Grande parade à Pointe-à-Pitre avec des concours de musique (biguines), de chansons (dont les paroles sont souvent très crues pour cette occasion) et autres « festiferies » (présentation des groupes en costumes).
16 février - Lundi Gras : A Basse-Terre, défilé folklorique en pyjamas très tôt le matin (autre spécificité guadeloupéenne), puis, après la grand-messe, défilé des marchandes (qui comme les cuisinières ont leur propre défilé) et, le soir, parade nocturne avec concours de chorégraphies.
Parade nocturne également à Saint François.
C’est le jour des mariages burlesques dans lesquels des couples se déguisent avec des vêtements du sexe opposé . Dans la foule, les hommes s’affublent volontiers de costumes grotesques ("nègres-gros-sirop"), certains se travestissent. A contrario, certaines femmes mettent en valeur leur élégance naturelle parée de draperies satinées étincelantes.
17 février - Mardi Gras : Le point culminant du carnaval tant au niveau musical, des déguisements, de l'originalité. Les réjouissances sont ouvertes par la reine du carnaval. Les concours sont nombreux (meilleur groupe, meilleur costume,etc).
Le mardi gras, les petits diables rouges embrasent les rues bondées de Pointe-à-Pitre et Basse-Terre.
Jour de la « Giga Parade » de Basse-Terre, pour laquelle tous des groupes sont conviés. Et c’est également l'un des seuls jours où les groupes sortent leurs chars. Cette année, le thème était : « Les arts du Monde ».
La spécialité culinaire du mardi gras est la consommation des beignets.
18 février - Mercredi des Cendres : C'est le jour du grand « vidé ». On défile dans toutes les communes…
"Nou kay brulé Vaval !" Le roi du carnaval est condamné le soir au bûcher à la fin de son parcours victorieux. Torches en mains la foule, habillée en noir et blanc, en signe de deuil, qui chante "vaval, vaval, vaval ka kité nou, malgré la vi la rèd, vaval ka kité nou" et surexcitée par le spectacle nocturne du feu, danse et chante autour de Vaval qui crépite et se consume. Cette scène rappelle en tous points certaines cérémonies vaudous. Vaval se meurt, Vaval est mort, vive Vaval !
L’incinération de Vaval est le symbole de la purification des âmes et marque également la fin des réjouissances et le début des rigueurs de la période maigre: le Carême.
Sans oublier le traditionnel feu d’artifice…
12 mars - la mi-carême : A mi-temps entre le carnaval et Pâques, les célébrations carnavalesques reprennent vie pendant un jour. Journée des diables rouges et noirs, tout le monde s'habille ainsi pour marquer la résurrection de vaval ; et ultimes défilés qui rassemblent encore de nombreuses personnes conscientes que cette fois-ci, le carnaval est vraiment fini.
Hugo : l'ouragan qui dévasta la Guadeloupe
Les ouragans fascinent, suscitent même une excitation secrète ou exprimée chez ceux qui n'ont encore jamais croisé leur route, mais effraient au contraire ceux qui en ont déjà été témoins ou même victimes (Inès en 1966 et David en 1979 pour ce qui est de la Guadeloupe d'avant 1989)… En revanche, la seule menace de leur potentielle apparition fait partie du quotidien antillais (via les médias notamment) au point que les alertes défilent dans une indifférence assez générale. Et ce mercredi 13 septembre 1989, ne fit pas exception à la règle, lorsque la 3ème alerte n°1 (depuis le mois de juin) fut donnée, à l'approche du dénommé Hugo, en provenance des côtes africaines…
- Douze heures d'effroi
Mais les jours suivants ne démentirent pas cette première alerte, au contraire ! Et, dès le vendredi 15, nombreux sont ceux qui s'affairèrent à constituer des réserves alimentaires, se munir de piles et de serpillières et renforcer leur habitation. Les Guadeloupéens y sont bien préparés, et connaissent très tôt la conduite à tenir en cas d'ouragan, comme de tremblement de terre ou d'activité volcanique d'ailleurs. Le samedi 16 au matin, le préfet, Bernard Sarazin, annonce sur RFO TV, la voix grave, l'inévitable traversée de la Guadeloupe par cet ouragan, dont les spécialistes prédisent déjà la violence des vents (plus de 200 km/h) et l'importante élévation du niveau de la mer (4 à 5 mètres). A 18 heures, la nuit tombe, en même temps que l'interdiction de circuler, et les Guadeloupéens s'abritent et se préparent à vivre une longue nuit agitée. L'alerte n°2 est déclenchée.
L'île de la Désirade est la première touchée en fin de soirée, puis la Grande-Terre vers minuit ; Hugo suivant une trajectoire sud-est/nord-ouest. Vers 1h00 du matin, le dimanche 17, il frôle la ville du Moule, touche une demi-heure plus tard Morne-à-l'eau, pour s'éloigner de la Guadeloupe, au large de Sainte-Rose, vers 2h30. Il se déplace à une vitesse de 26 km/h en moyenne. Son œil mesure 37km de diamètre ; autant dire qu'à l'exception du sud de la Basse-Terre, toute l'île est ébranlée. Il maintiendra son avancée destructrice vers les îles de Montserrat, Sainte-Croix puis Porto-Rico, avant d'aller s'éteindre en Caroline du nord (Etats-Unis).
De mémoire d'homme, il est l'un des plus violents ouragans à avoir frappé la Guadeloupe. Les instruments de mesure du centre météo du Raizet (au nord de Pointe-à-Pitre) ont enregistré des vents de 180 km/h vers 23h00. Ensuite… l'anémomètre est tombé en panne, puis le radar et enfin la tour météo fut tout bonnement arrachée et emportée ! Des navires amarrés enregistrèrent des vents de 296 km/h et même des rafales à 325 km/h.
Ce qui fut par la suite confirmé par les calculs scientifiques des météorologues. En Guadeloupe, Hugo fut un ouragan de classe 4 sur l'échelle de Safir-Simpson (LIEN) (qui en compte 5), atteignit le niveau maximum encore jamais atteint en Guadeloupe depuis l'existence de cette échelle, et fut le plus violent du 20ème siècle jusqu'au passage d'Andrew aux Etats-Unis.
- Un lourd tribu
Au petit matin du dimanche 17 septembre 1989, les Guadeloupéens, sortant de chez eux, abasourdis, errant entre tôles, gravats et débris de végétation, découvrirent un paysage de désolation : Cases effondrées, toitures arrachées de maisons "en dur", arbres couchés, voitures écrasées, commerces éventrés, cultures ravagées et pleurèrent 18 compatriotes, victimes directes et indirectes du cyclone (auxquelles s'ajouteront 22 morts chez leurs voisins anglophones de Montserrat, 12 à Porto-Rico, un peu plus de 25 dans d'autres îles de l'arc antillais et 35 en Caroline). Et c'est évidemment parmi les populations défavorisées que l'on dénombra le plus de sinistrés (25.000 sans abri et 35.000 sinistrés, soit 17% de la population guadeloupéenne de l'époque)…
Il n'existe pas un récit de ce genre d'événement mais autant comme de personnes l'ayant vécu. Les différents témoignages recueillis permettent néanmoins d'imaginer les longues heures d'effroi qui jalonnèrent cette nuit, succédant subitement à une étrange lueur apparue dans le ciel et au calme plat et inhabituel qui figea quelques instant la végétation : au-dehors, le vent qui se met à tourbillonner petitement, se lève soudainement et commence à briser les arbres les plus fragiles, puis à faire plier les plus résistants, emporte ce qui n'a pas été solidement fixé, puis les tôles ondulées, qui commencent à se détacher des toitures. Les trombes d'eau, chargées de sable et de sel, fouettent les portes, les fenêtres, s'infiltrent par le moindre orifice et font trembler les murs. Les maisons craquent et "grognent", même les plus solides, quand leur toiture n'est pas toute ou partie emportée. Certaines baies vitrées se brisent et laissent pénétrer la pluie dans un infernal vacarme. L'électricité est coupée car les pylônes et autres poteaux électriques ont également cédé dans la tempête. Chacun se réfugie dans l'endroit qu'il pense être le plus sûr de son habitat, quitte à changer d'avis ou à y être forcé à plusieurs reprises…
L'absence de communication rend l'atmosphère encore plus pesante : le téléphone est coupé et la télévision n'est électriquement plus alimentée. Seuls ceux qui se sont dotés de radio à piles peuvent encore avoir accès à l'information. Quand elle existe !
Et au fléau naturel vient s'ajouter un fléau tristement humain : le pillage. Des commerces, certes, mais des maisons également, parfois même alors que la tempête fait encore rage…
Les entreprises aussi subissent de lourds dégâts, notamment les entrepôts qui offrent de larges prises aux vents, et les outils sont souillés et rendus inutilisables par le mélange sel/sable, très corrosif, transporté par la pluie. Les avions, les bateaux, s'ils n'ont pas été évacués à temps par leurs propriétaires sont renversés, projetés contre des obstacles ou bien coulés.
Et que dire des exploitations agricoles dont non seulement les bâtiments, mais encore les cultures et les animaux, sont frappés par le désastre ? Si la récolte de canne a pu se dérouler normalement avant la saison cyclonique de cette année 1989, 60% du sucre produit sont souillés par la tempête qui emporta le toit de l'entrepôt dans lequel il était stocké… Les bananiers couchés à perte de vue (100% de pertes), les produits du maraîchage broyés (85% de pertes) et les bateaux de pêche fracassés ou coulés (100% de pertes) offrent le même spectacle de désolation.
Les dommages qu'il a causés sur la totalité de son parcours ont été évalués à 10 milliards $US en 1989, dont 2 milliards $US aux Antilles.
Bref, au-delà des drames humains individuels, des risques sanitaires, des fruits d'années de travail anéantis, c'est toute une société qui se trouve privée de moyens de communication, d'infrastructures et d'outils de production nécessaires à sa simple autonomie. Bien entendu, la solidarité spontanée, relayée ensuite par les plans d'aides et les soutiens économiques étatiques ramènent petit à petit l'ordre et le redémarrage d'une société malgré tout décidée à repartir de plus belle, à panser rapidement ses plaies et à reconstruire. Même si des mois d'efforts colossaux seront nécessaires pour y parvenir.
- C'est pourquoi...
L'on comprend mieux, à l'annonce d'un nouveau cyclone, l'effroi de ceux qui en ont déjà connu un, Hugo en particulier…
: Suite aux dégâts et aux morts causés, l'Organisation météorologique mondiale a retiré le nom Hugo des listes futures de noms pour les ouragans du bassin Atlantique. Il a été remplacé par Humberto qui a lui-même été utilisé en 1995, 2001 et 2007.
La revendication d'une identité guadeloupéenne
Avant de tracer son évolution, il faut comprendre le mot "indépendance" dans le contexte des Antilles. La relation Guadeloupe-métropole, a préoccupé d’emblée la classe politique issue de l’ancienne population servile. L’interprétation de cette relation, loin de reposer sur une pensée uniforme, diffère selon les concernés et ce au sein d’une même formation ou groupe politique. L’éventail est si large qu’il devient plus judicieux de parler de "personne" que de camp ou de parti. Les idées tendent à se rapprocher, plus ou moins, avec le temps, lors de la départementalisation.
- Le mouvement dit de "Négritude" lancé par Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor symbolise parfaitement l’époque. En résumé, la Négritude revendique pleinement, ouvertement et avec fierté l’identité. Par extension, elle ouvre la voie à la définition du mot… peuple, par-delà les clivages et les origines diverses. Autrement dit, le besoin d’un socle commun et légitime rapproche une partie des pensées et visions, sans pour autant, parvenir à délimiter clairement les frontières.
- Aussi, ceux qui prônent l’idée d’une indépendance totale commencent à se différencier et surtout à se radicaliser. Dans cette continuité, il est impératif de rappeler le contexte : la décolonisation, dont l’Afrique est concernée, n’a pas été entamée et l’Algérie est toujours française. La France est alors une puissance coloniale… et loin d’apprécier le développement des idées radicales. Il faudra attendre 1963 pour que la première formation qualifiée d’indépendantiste puisse voir le jour : le GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe), qui deviendra, en 1978, l’UPLG (Union populaire pour la Libération de la Guadeloupe) et enfin Le Mouvement Guadeloupéen qui sera rejoint par le KLNG (Kombat de libération nationale de la Guadeloupe). En 1964, le Parti communiste guadeloupéen adopte également une ligne indépendantiste.
- Vingt ans plus tard, les ailes radicales passent à l’action. En août 1980, le Groupe de libération armée (GLA) lance un ultimatum aux Français pour le 31 décembre. Un mois plus tard, en septembre, trois bombes explosent à Pointe-à-Pitre, une autre au Raizet ; un artificier de l’armée est tué. Luc Reinette est arrêté pour l’enlèvement d’une journaliste de FR3. En 1983, trois explosions surviennent dans les trois départements d’outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane). Au mois de novembre de la même année, la radio RCI, tour Cedid, est détruite par une bombe. Une autre bombe fait 23 blessés à la préfecture de Basse-Terre. L’attentat à l’hôtel Méridien de Saint-François et d’autres explosions en 1984 s’y ajouteront.
- Et aujourd’hui ? Les formations politiques se sont multipliées, apportant leurs visions spécifiques, et les mouvements indépendantistes ont connu plusieurs scissions. La métropole, et à moindre degré d’autres pays, comptent une forte communauté antillaise. La France d’aujourd’hui n’est pas celle de la départementalisation : de plus en plus de personnes parlent ouvertement d’un Hexagone pluri-ethnique et multiculturel. Les "particularités et spécificités" de la Guadeloupe sont de plus en plus mises en avant. Le facteur (non négligeable) de l’Union européenne, qui assure des avantages tant économiques que sociaux est aussi un élément important. Le référendum de décembre 2003 illustrerait-il bien ces propos ? L’image de la Guadeloupe dans l’opinion publique métropolitaine est souvent associée à des velléités indépendantistes… pourtant, le non est sorti gagnant à 72,98 %. La phase réactionnaire, elle, semble faire partie du passé, ce que confirment de nombreux Guadeloupéens qui ont sur ces épisodes le même commentaire que les Corses. Les indépendantistes peuvent faire beaucoup de bruit en étant très peu nombreux, mais ils ne représentent pas l’ensemble de la population de l’île. Cependant, en 2009, un collectif d’associations et de syndicats s’associent pour créer Liyannaj kont pwofitasyon et lance une grève générale qui va durer 44 jours. Le collectif emmené par Elie Domota obtient la baisse des prix sur des produits de premières nécessités, la baisse des prix du carburant et la revalorisation des bas salaires...
Mai 1967 : chronique d'une tragédie classée secret-défense
Malgré le refus de la Guadeloupe d'accéder à l'indépendance par référendum en 1958, peu après l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique noire et l’indépendance de l’Algérie en 1962, les tensions politiques et sociales perdurent et les années 60 voient naître et se formaliser une mouvance nationaliste guadeloupéenne (création, par exemple, du très populaire Groupe d'Organisation National de la Guadeloupe en 1961 - cf. Focus sur l'Identité guadeloupéenne). Des "incidents", entre blancs et noirs, nantis et pauvres, émaillent régulièrement l'actualité…
C'est le cas, une fois de plus ce 20 mars 1967, à Basse-Terre, lorsqu'un certain Srinsky (de lointaine origine Tchèque), propriétaire d'un magasin de chaussures, le "Sans-Pareil", lâche son chien sur un vieux cordonnier ambulant infirme, en s'écriant "Dis bonjour au nègre !" au prétexte que celui-ci s'est installé sur le trottoir qui longe sa vitrine. Le vieil homme, mis à terre et mordu par le berger allemand est secouru par les badauds que le commerçant injurie. Tant et si bien que la foule s'en prend à son magasin et à ses voitures, ce dernier ayant juste le temps de s'enfuir par les toits. Les faits et paroles du vendeur de chaussures seront mollement condamnés par les autorités, ce qui ne manquera pas d'alimenter la vindicte populaire. Dès le lendemain et durant quelques jours, des émeutes se déclarent à Basse-Terre où d'autres magasins tenus par des blancs sont saccagés, et à Pointe-à-Pitre, où le magasin du frère de Srinsky est dynamité le 23 mars. Les interventions du préfet Boulotte, du sous-préfet Maillard et des CRS mettront du temps à faire effet. Le chiffre d'une cinquantaine de blessés parmi les civils est avancé. Il faut souligner que Srinsky est alors un personnage connu à Basse-Terre. Actif agent électoral de l’Union pour la Nouvelle République, il est étroitement lié aux milieux gaullistes et est même un proche de Jacques Foccart, éminence grise de de Gaulle (voir ci-après). Et c'est probablement grâce à ses relations que Srinsky sera discrètement évacué par les autorités françaises vers une autre île...
Le sous-préfet Maillard devant la voiture renversée de Srinsky
C'est donc dans ce climat, pour le moins tendu, que les ouvriers du bâtiment se mettent en grève le 24 mai de cette même année 1967, réclamant une augmentation de salaire de 2% et la parité de leurs droits sociaux avec ceux des ouvriers de la métropole. Les piquets de grève sont suffisamment nombreux et la mobilisation suffisamment suivie pour que la tenue de négociations soit décidée dès le lendemain, en date du surlendemain, vendredi 26 mai.
Mais les revendications des ouvriers (représentés par la CGT) tout d'abord entendues par une partie du patronat font finalement l'objet de blocages de la part d'un représentant de la SOciété GEnérale de TRAvaux (qui existe toujours). Et, sous le regard impuissant de l'inspection du travail, les négociations sont finalement interrompues. Hélas ! En début d'après-midi, le bruit court dans la foule, réunie pour l'occasion devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre, qu'un responsable patronal, Georges Brizzard, aurait déclaré : "Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail !".
Cette étincelle verbale met évidemment le feu aux poudres et s'ensuivent des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, les premiers s'armant de pierres, de bouteilles et de conques de lambis, les seconds usant de grenades lacrymogènes et de coups de crosse ou de matraque le cas échéant. Et la situation dégénère : chaque camp commençant à compter ses blessés, à tel point que le préfet Pierre Bolotte donne l'ordre - explicite ou implicite ? - d'ouvrir le feu, les forces de l'ordre faisant ainsi leur première victime sur la place de la Victoire : Jacques Nestor (jeune membre du GONG, était-ce un hasard ? La question reste ajourd'hui encore sans réponse officielle). Une deuxième puis une troisième victime tombent également rapidement sous les balles. Il n'en faut pas plus pour qu'en représailles deux armureries soient pillées et des lieux symboliques du pouvoir économique des békés ou de l'autorité française soient saccagés et incendiés tels que les magasins Unimag & Prisunic, le dépôt de la Banque de Guadeloupe ou les immeubles d'Air-France et de France-Antilles. Ainsi, jusque tard dans la nuit, militaires et manifestants vont s'affronter, jusqu'à ce qu'une espèce de couvre-feu ramène un calme incertain dans une agglomération tendue et comptant ses victimes.
Le 27 mai, les lycéens de Baimbridge, rejoints par d'autres jeunes, manifestent à leur tour, dénonçant les tueries de la veille et doivent de nouveau faire face aux militaires, tandis que d'autres enterrent déjà leurs morts, dans une atmosphère chargée de tension et de haine.
Auto-mitrailleuse en faction dans Pointe-à-Pitre
Finalement, le 30 mai, le patronat accorde non pas 2% mais 25% d'augmentation aux ouvriers du bâtiment… Quel gâchis !
S'en suivront une vague d'arrestations, des condamnations à la prison ferme ou avec sursis et le déferrement de membres du GONG devant la cour de Sûreté de l'Etat, à Paris, pour atteinte à l'intégrité du territoire national.
Officiellement, le chiffre de 8 morts est avancé, puis 18 ans plus tard, le ministre de l'Outre-Mer, Georges Lemoine, reconnaîtra 87 morts (sans aucune preuve cependant). Une trentaine de représentants des forces de l'ordre auraient parallèlement été blessés lors de ces affrontements. Il est difficile, aujourd'hui encore de connaître les chiffres exacts des victimes, le dossier de cette sombre tragédie ayant été classé "secret-défense" jusqu'en 2017. Ni le Premier ministre de l'époque, Georges Pompidou, ni le général De Gaulle, alors Chef de l’État, n'ont été directement mis en cause, et les représentants de l'autorité française en Guadeloupe responsables et décisionnaires dans cette affaire (le préfet Pierre Bollotte par exemple) ont été discrètement mutés et rapatriés en métropole dans les mois qui suivirent. Notons que parmi ces derniers figurent le commissaire Canalès, le ministre de l’Outre-Mer Pierre Billotte, le ministre de l’Intérieur Christian Fouchet, le ministre des Armées Pierre Messmer, et Jacques Foccart (ami du vendeur de chaussure Srinsky !), alors secrétaire de l’Élysée aux Affaires africaines et Malgaches, fils d’une béké guadeloupéenne de Gourbeyre, Elmire de Courtemanche de La Clémandière, et d’un planteur de bananes d’origine alsacienne, Guillaume Koch-Foccart, maire de cette même ville de Gourbeyre.
Toujours est-il que ce massacre de "mè 67" alimenta encore les haines réciproques des indépendantistes, békés et autres tenant de l'autorité françaises en Guadeloupe et fait aujourd'hui partie intégrante des tristes pans de l'Histoire de l'île.
Bas-relief réalisé par Philippe Laurent, plasticien guadeloupéen, qui rend hommage aux Guadeloupéens tombés sous les balles en mai 1967 (quai Gatine sur le mur du collège Nestor de Kermadec).