Langue jeune, le créole est né au 17ème siècle de l'urgente nécessité qu'eurent des peuples inconnus les uns des autres à se comprendre dans la douloureuse création d'un monde nouveau, fondé sur une économie esclavagiste.
La richesse de la langue créole s'explique de ce fait par une double mixité géographique :
- D'une part, elle est le fruit d'un télescopage de nombreuses langues : premiers contacts portugais avec les futurs esclaves des comptoirs d'Afrique et avec les indigènes des Antilles (1493), dialectes des colons français (breton, normand, poitevin, picard, vendéen...), influences anglaises, espagnoles et néerlandaises, noms amérindiens (cf. ci-dessous), langues africaines de l'Ouest, et apports plus récents d'Inde et de Chine (marginaux cependant).
- D'autre part, née de l'esclavage, cette nouvelle langue a germé là où il fut pratiqué : île Maurice, Réunion, Seychelles, Louisiane, Saint-Domingue (devenu Haïti en 1804) et, bien sûr, en Guyane et dans les Antilles (Martinique, Guadeloupe, Dominique, Sainte-Lucie, Trinidad...).
L'étonnante particularité de cette langue réside en effet dans la formation d'un socle commun pratiqué par des individus ayant vécu sur des territoires aussi éloignés, à une époque où les moyens de communication étaient pour le moins limités. Pour autant, ils évoluèrent dans des environnements socio-économiques similaires : exploitation d'Africains par des maîtres français, autour de la culture de la canne à sucre, dans le milieu quasi auto-suffisant de l'habitation-sucrerie.
Certes, devrait-on plutôt parler des langues créoles, de réelles différences lexicales existant entre elles, mais le fait est néanmoins qu'un Seychellois, un Guyanais et un Guadeloupéen finissent toujours par se comprendre. On laissera aux linguistes le soin de choisir parmi différentes hypothèses avancées aujourd'hui pour expliquer ce qui est encore un mystère linguistique…
Bien qu'on ait retrouvé des écrits créoles antérieurs au 19ème siècle, cette langue est longtemps restée une langue purement orale. Et la première tentative de codification de la langue créole : Etude sur la grammaire créole, d'Auguste de Saint-Quentin, date de 1872. Mais il faut attendre 1975 pour que le Martiniquais Jean Barnabé fonde le Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créolophone, et s'attache à codifier le créole de l'aire francophone (Guyane-Guadeloupe-Martinique).
Aujourd'hui parlé par environ douze millions de personnes, le créole est une langue à part entière, toute empreinte d'une histoire récente et indissociable d'une identité forte. Et si le français reste la langue officielle de la République, celle apprise à l'école et pratiquée dans les échanges institutionnels et économiques, tout Guadeloupéen parle et utilise le créole, à la maison comme au dehors. Il n'en reste pas moins compatissant à l'égard des non initiés que nous sommes, pratiquant alors volontiers la langue de Voltaire, et réservant le créole aux cachotteries et taquineries, sourire en coin...
Si les Amérindiens ont été décimés il y a bientôt quatre siècles, qu'il est plaisant de croiser encore leur culture dans la sémantique du quotidien, par exemple :
· Acoma (arbre majestueux)
· Agouti (petit mammifère)
· Ajoupa (abri provisoire)
· Ananas
· Balawou (sorte d'espadon)
· Barbecue
· Boucan (lieu réservé à la cuisson de la viande qui désigne aujourd'hui une sorte de grand barbecue fermé par un couvercle)
· Ceiba (genre d'arbre également appelé Fromager) : Le terme de ceiba viendrait de la langue taïno parlée par les Amérindiens des Grandes Antilles, où il désigne cet arbre.
· Caïman
· Canoa (pirogue de haute mer taillée d'une seule pièce dans le tronc d'un arbre, généralement le gommier blanc) qui donna "canoë"
· Canari (jarre de terre, qui désigne aujourd'hui un fait-tout ou une grosse marmite)
· Carbet (case)
· Cassave (galette de manioc), terme qui vient en réalité de l'espagnol cazavi mais qui a été emprunté au Taïno
· Colibri (petit oiseau)
· Coui (récipient fait à partir d'une demi-calebasse évidée)
· Goyave
· Hamac
· Iguane
· Maïs
· Maracudja (du tupi mara kuya, qui désigne le fruit de la passion, fruit de la grenadille)
· Ouragan
· Papaye
· Patate (descendant de l'espagnol batata, qui l'aurait emprunté lui-même à la langue taïno ou arawak, désignant la patate douce)
· Pirogue
· Savane
· Tabac
· Tapioca (La fabrication du tapioca est attestée pour la première fois dans un livre de John Nieuhoff qui réside au Brésil entre 1640 et 1649, il parle de la fabrication d'une sorte de gâteau fait de farine de manioc nommé tipiacica)
· Zanoli (petit lézard)
Originaires du Nord-Ouest de l'Afrique, les esclaves ne parlaient pas tous la même langue : certains s'exprimaient en éwé, tandis que d'autres pratiquaient l'ibo ou le wolof. Le créole devint donc pour eux une langue commune, commune avec leurs maîtres également. Par exemple, le mot "gombo" qui désigne une plante spécifique (originaire d'Afrique), était également utilisé par tous pour parler des plantes en général.
L'Afrique étant une terre d'oralité, ils porteront le créole de la même manière, l'enrichissant de contes, chants, devinettes, berceuses et autres proverbes. Ceci explique aussi la présence dans certains d'entre eux de tigres ou d'éléphants, animaux n'existant pas dans les Antilles.